Friedkin, la Proust connection

Published by Jérôme Prieur on

Jeanne Moreau et William Friedkin le jour de leur mariage à Paris, le 8 février 1977. Photo © AGIP

Dans les pas de Marcel Proust de William Friedkin vient de paraître aux éditions de la Pionnière. 

Quand, il y a quelques semaines, Nicolas Ragonneau m’a confié la primeur de ce récit signé William Friedkin, je me suis exclamé en moi-même, sans rien laisser paraître, « chapeau l’artiste ! ». Il ne faisait guère de doute que le prétendu traducteur, par ailleurs éminent spécialiste de l’apprentissage des langues étrangères, s’était dissimulé derrière le masque du pseudonyme comme tant d’autres auteurs avant lui. L’affaire était claire, un loup couvrait le visage de celui qui nous donne d’ailleurs à lire en même temps à la Pionnière les quelques lettres du docteur Vendôme au sujet d’un poilu nommé Marcel Proust. Nicolas Ragonneau ne jouait-il pas au nègre ainsi que l’on n’ose plus prononcer le mot. N’était-il pas le ghost writer du génial réalisateur de French connection ? Quelle provocation que d’attribuer ce pèlerinage au pays de Marcel Proust à William Friedkin, célèbre par le succès planétaire de ses films noirs comme de ses films d’horreur !
Par acquit de conscience, j’ai enquêté. L’enquête a été rapide. Pour ma plus grande joie, j’ai déchanté : oui William Friedkin a bien écrit ce texte qui a été publié le 20 mai 2017 dans le numéro du week-end du plus célèbre des quotidiens new yorkais.
L’histoire avait commencé quarante ans plus tôt, à Paris. Alors que, sur la place Saint-Sulpice, la mariée était encore en blanc, Friedkin reçoit en cadeau de noces À la recherche du temps perdu, qu’il va découvrir dans les bras de Jeanne Moreau. On peut imaginer pire initiation. Mais lire, en français, en anglais, ne suffit pas, et Friedkin, qui n’est pas écrivain mais cinéaste, lit méthodiquement tous les livres, puis part en repérages à travers la France profonde. Comme l’Italien Luchino Visconti, comme l’Anglais Joseph Losey avec Harold Pinter, comme l’Allemand Volker Schloendorf, comme le Chilien Raoul Ruiz, rêve-t-il en secret d’adapter le grand livre inadaptable, le monument français de la littérature. Dieu seul le sait, et encore avec lui on n’est sûr de rien.
Où commence son obscure fascination ? Friedkin garde le silence, comme nous tous au fond dans ces cas-là. Mais l’ œuvre ne suffit pas à William Friedkin, il veut en savoir plus. Que cherche-t-il et pourquoi, Friedkin ne le dit pas davantage. C’est là que je me sens soudain projeté sur l’écran, plongé dans le scénario invisible de son film virtuel. Qu’on veuille bien me pardonner, je me crois la victime d’un plagiat par anticipation. Un squatter se serait installé à l’intérieur du livre que j’ai publié en 2001.
Me voici en proie à une crise d’hallucinations. J’avance dans les pas de William Friedkin, et c’est entre les pages de mon livre que je marche. Je me retrouve à l’intérieur de Proust fantôme petite odyssée intime qui m’avait amené à suivre les traces de Proust, à hanter tous les décors qu’il avait fréquentés, à scruter à la loupe ses rares photographies, à interroger (indirectement tout de même) jusqu’à ses voisins de palier. Mon aventure avait commencé par un rendez-vous boulevard Haussmann quand la banque qui occupe toujours les lieux organisait alors de rares visites guidées au bord du néant. Elle s’était conclue, en guise de happy end, par une distribution de madeleines sous cellophane. William Friedkin aurait pu être l’un des communiants. Il avait déjà vu, une bonne dizaine d’années plus tôt, qu’il n’y avait rien à voir. Tout, déjà, avait disparu. Reste toujours, quand même, malgré tout, envers et contre tout, aussi peu que ce soit, à essayer d’attraper les ombres de la caverne. 

À LIRE
Dans les pas de Marcel Proust de William Friedkin, Editions la Pionnière, 2019. Préface de Jérôme Prieur. Traduit de l’américain par Nicolas Ragonneau.


4 Comments

Mike LEBAS · 23 septembre 2019 at 9 h 14 min

La prochaine fois que vous passez en Normandie prévenez moi, vous visiterez la villa des FREMONTS qui a inspiré La Raspeliere et où Marcel Proust a séjourné plusieurs fois invité par ma famille qui l’a acheté en 1892 grâce à son intermédiaire.
Je l’ai restauré en respectant parfaitement les extérieurs la villa de l’époque.
Mike LEBAS.

    Nicolas Ragonneau · 23 septembre 2019 at 12 h 56 min

    D’accord, bien volontiers, mais vous avez un tapis rouge ?

      Mike Lebas · 23 septembre 2019 at 17 h 35 min

      Non, cela ne se fait plus.
      Il est plutôt beige à bordure noire.….

        Nicolas Ragonneau · 25 septembre 2019 at 13 h 52 min

        A bientôt j’espère !

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