Proust latino de Rubén Gallo
CRITIQUE EN UNE PHRASE. Proust Latino de Rubén Gallo (Buchet Chastel, 2019)
Le Mexicain francophile Rubén Gallo, professeur de littérature et de langue espagnoles à Princeton, s’engage dans les sentiers les moins battus de la critique proustienne avec cet ouvrage qui révèle la présence réelle de l’Amérique latine dans la vie et dans l’œuvre de Marcel Proust (tropisme d’un « continent noir » ?), lui qui fut à la fois l’amant du Vénézuélien Reynaldo Hahn et l’ami de l’Argentin Gabriel de Yturri (secrétaire et amant de Robert de Montesquiou), du poète cubain José Maria de Heredia et du critique mexicain Ramon Fernandez ; avec humour, d’une écriture vive et personnelle qui tranche avec le ton classique des ouvrages d’universitaires, l’auteur consacre une importante analyse aux dessins et au « lansgage moschant » des lettres échangées avec Hahn, et cet ensemble de portraits convaincants figure une peinture méconnue et émouvante des rastaquouères du tournant du siècle (ainsi désignés à l’époque, mais la France réactionnaire criera bientôt aux métèques), entre lesquels viennent s’intercaler quelques marginalia heureusement rebaptisés « paperoles », et dans lesquels on apprend notamment les déboires proustiens dans le scandale du canal de Panama — une lecture étonnante, malgré le titre de l’édition française, ringard comme du mauvais tango.
3 Comments
Philippe Blay · 13 novembre 2019 at 9 h 49 min
Pour une étude du langage particulier utilisé entre Hahn et Proust, je vous conseille plutôt l’analyse de la linguiste Simone Delesalle-Rowlson, qui tient compte, elle, de l’histoire de la langue française : « Le Bunibuls de Monsieur Proust et la philologie », in Proust et les « Moyen Âge, sous la direction de Sophie Duval et Miren Lacassagne, Hermann, 2015.
Passons sur la tendance sadomasochiste de Proust, analysée depuis bien longtemps.…
Quant à l’analyse fantaisiste de l’opérette Ciboulette présentée dans cet ouvrage (oeuvre dans laquelle Hahn retrouverait ex abrupto son inspiration « exotique » et soudain se révélerait à lui-même), elle ne tient compte d’aucun élément historique et esthétique : Ciboulette est une oeuvre de commande, pour laquelle Hahn n’a pas contribué à l’élaboration du livret, qui ne peut donc refléter ses intentions) ; on ne peut sérieusement la réduire à l’espagnolade de quelques minutes qui termine le deuxième acte, espagnolade qui est un poncif de la musique française du XIXe siècle ; une des premières oeuvres de Hahn est une « Aubade espagnole » écrite pour la pièce de Daudet L’Obstacle, le musicien n’a donc pas attendu 1923 pour redécouvrir une supposée « latinité refoulée ». Je pourrais multiplier le relevé des incohérences… Hahn aurait signé : « L’ardoise de Beckmesser ».
Nicolas Ragonneau · 13 novembre 2019 at 9 h 52 min
Merci Philippe pour ces éclaircissements.
Guz · 13 septembre 2020 at 14 h 10 min
Bien que je n’ai aucun moyen d’infirmer ou affirmer ce que Monsieur Philippe Blay critique dans le livre de Rubén Gallo, je pense, pour ma part que cela ne doit pas détourner l’attention des éventuels lecteurs de cette oeuvre qui contient des informations et des conclusions que l’on ne trouvera peut-être pas ailleurs. J’ai en tête notamment le passage où l’évolution de la conscience politique de Heredia est narré et aussi comment ses premiers écrits ont influencé le jeune écolier d’époque, Marcel Proust.
Ce livre était un plaisir de lecture, malgré son mauvais titre en français, que vous évoquez dans votre article.
« Proust Latino » donc, concourt pour le Prix Céleste Albaret 2020 : il a mon soutien.