Henri Calet, l’anti-Proust
L’interlope Raymond-Théodore Barthelmess, alias Henri Calet, lecteur de Proust. Qui l’eût cru ?
« Mais non ! ce n’est pas une femme ! Je t’assure ! c’est un jeune homme… charmant au demeurant » C’est par ses mots, adressés à une femme au téléphone (Christine Deviers-Joncour, élégamment nommée « la putain de la République », une formule que personne n’oserait proposer aujourd’hui ?) que Roland Dumas, m’accueille dans son bureau de l’île St-Louis.
Le voisin des Bibesco est un peu avachi dans son fauteuil en cuir, le combiné collé à l’oreille, et ne me considère pas assez pour raccrocher. La conversation se prolonge ainsi pendant une à deux minutes, confirmant la jalousie de son interlocutrice qui insiste pour que je sois une de ses maîtresses en bottines.
Elle aurait été bien déçue, car je suis là pour une autre sorte de gaudriole, une raison bien plus farfelue : par défi, je me suis mis en tête, en ce milieu des années 1990, de faire une émission de radio sur Henri Calet pour France Culture. Et comme maître Dumas est l’exécuteur testamentaire d’Henri Calet, je vis dans l’espoir naïf de consulter des archives inédites qui me permettraient d’amorcer cette entreprise.
« Calet ? je dois vous dire que quelqu’un est déjà passé consulter le dossier il y a quelques mois, un homme qui fait des recherches au long cours sur l’écrivain ».
Henri Calet, de Malakoff
Avant même d’avoir ouvert le moindre dossier, l’affaire est quasiment entendue : cet homme qui me précède en tout, c’est Jean-Pierre Baril, parquettiste le jour et caletiste intarissable la nuit et le week-end, dont j’apprendrai bientôt qu’il prépare une grande biographie de Raymond-Théodore Barthelmess (le vrai nom de Calet). Entre deux poses ou réfections de parquets, il travaille sans relâche à documenter la vie de l’écrivain parisien dont il finit par tout connaître. Je n’arrive pas bien à me souvenir comment j’entrai en relation avec lui, mais le monde des lettres étant une république lilliputienne, il se trouvait aussi qu’il était le cousin germain d’une amie éditrice. Et c’est en dînant avec les deux cousins que j’ai (presque) tout appris de l’incroyable existence de Calet, passée moitié dans la truanderie anar, moitié dans la littérature, mais toujours dans la gêne et la désinvolture.
Ainsi son nom de plume, qui n’en n’est pas un, mais une fausse identité pour échapper à la police, piochée peut-être au hasard des Nouvelles en trois lignes de Félix Fénéon :
- Un enfant de trois ans, Henri Calet, de Malakoff, est tombé dans un bassin d’eau bouillante, et n’a pas survécu à ses brûlures1.
La fuite en Uruguay, le bon plan
Pendant les années folles, l’aide-comptable Barthelmess au suffixe british de prophétie auto-réalisatrice (mess : désastre) claque bien davantage que sa paye dans les courses de chevaux. Et bientôt il lui en faut bien davantage : il part pour l’Uruguay sous le nom d’Henri Calet et avec la caisse (250 000 francs en guise de zeugme). Ses vrais papiers, il les cache de manière très intime dans un endroit où personne n’ira les chercher grâce un objet en inox dont j’ignorais jusqu’à l’existence : un plan. Mon parquettiste était persuadé qu’après son retour en France en 1931, certains avaient reconnu le voleur sous l’écrivain Calet et qu’on le faisait chanter. Comment expliquer, me disait-il, que Calet ait vécu sans le sou toute sa vie, dès son premier livre et jusqu’à la fin, Dubuffet ayant dû payer ses obsèques ? Franchement, ça se tenait ce raisonnement, et ça rajoutait un sacré cachet à son histoire… finalement, je devais apprendre plus tard que Barthelmess avait été définitivement réhabilité et qu’on avait passé l’éponge sur ce passé. Il devait continuer à jeter l’argent par les fenêtres.
L’antithèse de Proust
Fantôme de Barthelmess ou pas, notre écrivain impressionnait bel et bien la pellicule. Il avait posé maintes fois, et pour les meilleurs photographes : Roger Parry, Izis, et le studio Harcourt, en 1950, dans l’œil d’un opérateur inconnu…
De Calet j’aimais surtout les chroniques à Combat, Les Murs de Fresnes, Le tout sur le tout et Monsieur Paul. Comment pouvait-on écrire de façon si simple en apparence, avec une telle économie de moyens et un vernaculaire pour ainsi dire en mode mineur, très éloigné de la logorrhée forcenée de Céline ? C’est une œuvre profondément mélancolique comme un regret, avec des phrases courtes et ciselées, qui ne jouent pas à l’écrivain. Pour moi, bien que mort au même âge, Calet, c’était l’antithèse de Proust, aussi prolo dans l’âme que Proust était bourgeois, aussi bref que Proust étirait sa phrase élastique, etc.
Et pourtant, et pourtant… Proust avait compté pour l’aide-comptable, et pour beaucoup. Très récemment, alors que je ne lis plus Calet que par bribes et de loin en loin, je suis tombé sur ce passage dans Je ne sais écrire que ma vie2, l’anthologie de textes inédits réunis et édités par Michel P. Schmitt :
« Le 15 novembre 1947, Le Figaro littéraire publie une enquête, « Lisez-vous Proust ? », à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de la mort de l’auteur de À la recherche du temps perdu. Après un bref chapeau introductif, Pierre Mazars, journaliste, romancier et historien de l’art, donne la parole à Calet. »
Henri Calet : C’est un de mes écrivains préférés. S’il y a longtemps que je ne l’ai pas lu, c’est que je ne l’ai pas sous la main. Mais c’est un des rares auteurs que je relirais volontiers. Il reste un grand souvenir pour moi.
Les étrangers connaissent très bien et pratiquent beaucoup mieux l’œuvre de Proust. Mais je ne sais trop si les habitués de nos bibliothèques populaires pourraient faire connaissance avec elle sans préparation.
C’était bref, sans doute trop pour y consacrer l’article que vous lisez, mais assez considérable pour susciter un sourire béat. Je n’ai pas pu y résister.
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