René Blum, fantômes de nitrate
Au hasard de la réalisation de la série « Autour de Proust avec le studio Harcourt », j’ai retrouvé des images inédites de René Blum (1878−1942), le frère cadet de Léon, qui œuvra pour la parution de Du côté de chez Swann chez Grasset et qui permit à Proust de passer ensuite à la NRF pendant la Première Guerre mondiale.
On prononce beaucoup le nom des Blum ces temps-ci, mais cette publication n’est qu’un hasard du calendrier, auquel l’actualité donne une couleur assez particulière.
Un festin de miettes
Quand, en 2021, Jean-Yves Tadié et Jérôme Bastianelli m’ont invité à participer au cinquième épisode du colloque « Le cercle des Amis de Marcel Proust » à la Fondation Singer-Polignac (14 novembre 2022), j’ai accepté bien volontiers en leur proposant de travailler sur René Blum. Je ne savais pas très bien si j’allais réussir à trouver de nouveaux éléments biographiques sur cet « ami » de Proust qui l’avait aidé, d’une façon décisive, à publier Du côté de chez Swann chez Grasset, puis à quitter cet éditeur pour la NRF, mais je m’étais au moins promis d’essayer. L’historienne et danseuse Judith Chazin-Bennahum a bien consacré une importante biographie au frère cadet de Léon Blum, René Blum & The Ballets Russes, In search of a lost life, en écumant les archives et les fonds, de même qu’un long article sur ce blog, j’étais décidé à faire un festin de quelques reliefs s’ils se présentaient. Les archives de la Ville de Paris m’ont offert une modeste pépite que j’ai évidemment présentée à la Fondation Singer Polignac pour donner un peu de lustre à mon intervention : une photo de classe de René Blum au lycée Henri-IV, pour l’année scolaire 1892–1893. Il avait alors 14 ou 15 ans, étant né le 13 mars 1878.
Trouver sans chercher
Le reste de l’histoire du « Blumet » (car cadet de la fratrie) est à découvrir dans les actes du colloque, à paraître selon toute vraisemblance début 2025 chez Honoré Champion, ou en vidéo sur le compte Vimeo de la Fondation Singer-Polignac.
J’eusse aimé trouver davantage, mais comme chacun a pu l’expérimenter, c’est souvent en ne cherchant pas qu’on finit par trouver. En listant dans un tableau, pour les besoin de la présente série mensuelle, les amis ou les connaissances de Marcel Proust susceptibles d’avoir été portraiturés par Harcourt, j’ai inscrit le nom de René Blum parmi bien d’autres personnalités, sans préjuger de leur présence dans le monstrueux fichier du studio. J’y avais par exemple noté « Lionel Hauser » et un frisson m’a parcouru lorsque le conservateur m’a sorti ces deux noms sur les fiches du grand meuble-classeur. Dans le cas de Lionel Hauser, j’allais vite déchanter : vérification faite, les négatifs sont perdus ou ils ont été détruits. Pour René Blum, quatre négatifs m’attendaient dans une pochette qui n’avait peut-être pas été ouverte depuis le milieu des années 30, et j’ai vu apparaître quatre fois son visage ; l’un des petits tirages effectués au format des négatifs le montrait encadré d’un trait de crayon, signifiant que le modèle et le studio avaient choisi cette prise de vue et ce cadrage pour le tirage papier grand format. Pour autant que je sache, ces images sont inédites. Par le numéro de commande, nous pouvons estimer qu’elles ont été effectuées en 1935 ou en 1936, et si ce dernier millésime était retenu, les photos pourraient être contemporaines de la victoire du Front Populaire aux législatives d’avril-mai. René Blum était alors à la tête des Ballets Russes de Monte-Carlo où il travaillait avec George Balanchine, Leonide Masside ou Serge Lifar. Ce dernier danseur s’éloigne pour le moins de Blum pendant la montée des périls et jusqu’à l’Occupation, où il se révèle ouvertement pronazi, accueillant notamment Goebbels à l’Opéra de Paris. Dans son livre La Danse : les grands courants de la danse académique publié en 1938, Lifar défendait l’idée que la danse classique était par essence aryenne.
René Blum est arrêté pendant la rafle dite « des notables » du 12 décembre 1941, la seule rafle menée par les Allemands à Paris pendant la guerre. Un autre ami de Proust apparaît dans le contingent des victimes de cette rafle : André Arnyvelde (pseudonyme de David Lévy), qui meurt à Drancy le 2 février 1942. René Blum est déporté à Auschwitz le 23 septembre 1942, où il est assassiné quelques jours plus tard.
4 Comments
Mars · 21 juin 2024 at 10 h 36 min
Merci de nous tenir au courant de vos recherches. Je vous lis toujours avec un grand intérêt.
Meilleures salutations
Jean Mars
Nicolas Ragonneau · 21 juin 2024 at 10 h 37 min
Merci beaucoup. J’adore avoir des nouvelles de Mars
Ruth Brahmy · 21 juin 2024 at 12 h 34 min
Merci de ton bel article, Nicolas et bravo d’avoir exhumé ces émouvantes photos de René Blum.
J’ai écouté récemment le remarquable podcast de Philippe Collin sur Léon Blum (France inter, 9 épisodes de 55 mn) et j’y ai appris que René aurait pu partir avec d’autres pour les États-Unis en 1941 mais qu’il a refusé, pour ne pas « déserter » la France occupée. Quelle tristesse ! Quelle désolation !
Jean-Thomas Nordmann · 22 juin 2024 at 11 h 16 min
Mon grand-père maternel était Georges Blum, l’un des cinq frères Blum, ce qui m’a conduit à une attention particulière à ce très émouvant article, en plus de l’intérêt que je ne cesse de porter à Prousonomics (Professeur émérite des universités, j’ai eu préparer à l’agrégation plusieurs fois des étudiants avec Proust au programme).Je me permets de vous signaler la remarquable biographie de René Blum d’Aurélien Cressely Par-delà l’oubli, Gallimard, 2023, dont j’ai rendu compte dans le numéro 184 de la revue Commentaire et qui complète l’impeccable travail de Judith Chazin Benharum.