1938–1945, quelques proustiens en Roumanie fasciste

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Portrait de Mihail Sebastian
Tel un portrait du Fayoum photographique, Mihail Sebastian (1907−1945). DR

La parution de l’essai La correspondance de Marcel Proust du grand écrivain roumain Mihail Sebastian, traduit en français plus de 80 ans après sa publication originale, celle du tome 2 du Journal de guerre de Paul Morand et celle de la biographie de la princesse Bibesco par Aude Terray, nous mettent dans les pas des proustiens de Bucarest, de la Roumanie rhinocérisée et meilleure alliée de l’Allemagne, celle des années Antonescu et de la Shoah. Une scène blafarde où se croisent des princesses qui s’abhorrent, des diplomates, des intellectuels fascistes et opportunistes, des diplomates-écrivains gaullistes, des écrivains-diplomates collaborationnistes…

Balbec, Combray, Méséglise font partie, pour moi, désormais, d’un pays secret où vous m’avez emmené […], mais dont les arbres et les chemins m’ont si vivement émus que je n’en veux plus voir d’autres.

Jacques Truelle, lettre à Marcel Proust, Rome, 1919

Jusqu’à présent, et même à Iassy l’été dernier, on pouvait croire que les persécutions étaient dues à des initiatives de quelques militaires isolés ou de tyranneaux locaux. Aujourd’hui, il n’y a plus de doute qu’on est en présence d’un plan systématique d’extermination conçu depuis déjà quelque temps. 

Jacques Truelle, télégramme envoyé aux autorités de Vichy, Bucarest, 10 novembre 1941

Marcel Proust, dans les premières années du XXe siècle, formait le projet de visiter son ami, le prince Antoine Bibesco, dans son domaine oltène de Corcova, dans le sud-ouest de la Roumanie, une envie de voyage qui, comme tant d’autres, restera velléitaire ou inassouvie1. La propriété d’Antoine Bibesco s’étendait sur plus de 2000 hectares (20 km carrés) de forêts, de terres cultivées et de vignes, plantées avec l’aide d’un ingénieur agronome français. Un siècle plus tard, en 2007, l’œnologue Laurent Pfeffer et ses associés ont fait le voyage balkanique dont Proust rêvait. D’une simple trace, et de l’amitié entre Proust et son « petit Antoine », ils ont créé un domaine viticole au nom évocateur et riche de promesses : Catleya. Un de leurs vins rouges est même baptisé « Marcel et le prince ». Dans un domaine adjacent mais toujours situé sur l’ancienne propriété des Bibesco, un autre cru porte le nom de Lady Asquith, la femme d’Antoine, la princesse Elizabeth Bibesco.

Des danubiens-proustiens

Ce ne sont que quelques exemples de l’héritage culturel de Marcel Proust en Roumanie. Certes, l’écrivain avait beaucoup d’amis roumains en France, les Brancovan, dont Anna de Noailles, les Bibesco (Antoine, Emmanuel, Marthe), etc. mais Bucarest n’était pas… en reste : dès 1921 Benjamin Fondane publie le premier texte sur Proust en langue roumaine2 et malgré les années brunes et rouges, l’intérêt des intellectuels et des artistes roumains ne s’est jamais vraiment démenti. 

Marcel Proust te conduit dans l’anecdote, sur un chemin unique : il t’arrête à chaque pierre, à chaque seconde, à chaque souche : il te raconte l’histoire de la pierre, celle de la seconde, celle de la souche.

Benjamin Fondane, L’art de Marcel Proust, 1921
(traduit du roumain par Odile Serre)

Cette haute présence s’est encore manifestée de manière éclatante en 2022 avec la troisième traduction intégrale de la Recherche en roumain, accomplie avec « le courage d’un fou » selon les propres mots du traducteur, l’écrivain Cristian Fulaș. Trois traductions intégrales3 en moins de cent ans, et pour un peu moins de 25 millions de locuteurs roumains, c’est un rapport assez remarquable. On a coutume d’affirmer que le Japon ou l’Italie est le second pays de la Recherche, mais la Roumanie n’est pas loin derrière. La parution conjointe de La correspondance de Marcel Proust de Mihail Sebastian (éditions Non Lieu), du tome II du Journal de guerre de Paul Morand (Gallimard) et de Marthe Bibesco, frondeuse et cosmopolite par Aude Terray (Tallandier), une biographie pleine de surprises, vient apporter de nouveaux éléments littéraires et historiques à cet ensemble déjà riche.

Bucarest dans les années 30.

Lire ces trois ouvrages conjointement, en compagnie de quelques autres sur les sujets connexes que sont le fascisme et la Shoah en Roumanie, comme je l’ai fait ces dernières semaines, forme une expérience unique, éprouvante et hypnotique. Le texte que vous lisez est en quelque sorte le récit du voyage que j’ai fait dans la Roumanie des années 38–45 — sans jamais quitter mon bureau. J’y ai rencontré, dans le désordre de ces années d’apocalypse et surtout à Bucarest, Mihail Sebastian, Paul Morand, Elizabeth, Priscilla, Marthe, et Antoine Bibesco, le maréchal Antonescu, Emil Cioran, Mircea Eliade, Jacques Truelle, Hélène Soutzo, Serge Moscovici, Gabriel de La Rochefoucauld, Eugène Ionesco, les frères Radu et Şerban Cioculescu, Camil Petrescu, Norman Manea, Henry Spitzmuller, Jean Mouton et bien d’autres encore. J’allais oublier une vieille connaissance : Lucien Rebatet. Et puis, last but not least, une grande spécialiste de la Roumanie, Alexandra Laignel-Lavastine, qui n’est autre que la nièce de Christian Péchenard4.
Tous ces personnages, connus ou méconnus, amis ou simples lecteurs de Proust, sont reliés par des liens dont certains étaient apparents, connus, et d’autres à découvrir. Les ramifications sont innombrables. Des éléments obscurs ou incompréhensibles s’éclairent d’un jour nouveau, des brouilles et des lâchetés s’expliquent, des perspectives vertigineuses s’ouvrent… la scène se joue sur fond de massacres et de déportations qui ont coûté la vie à plus de 300000 juifs et 12000 Roms. 

Le 1er octobre 1938, alors que son essai consacré à la correspondance de Marcel Proust est publié en feuilleton mensuel dans la Revista Fundațiilor Regale (Revue de la Fondation royale), Mihail Sebastian (1907−1945 ; nom de naissance : Iosif Hechter), depuis son appartement du centre de Bucarest, note dans son Journal : « La paix. Une espèce de paix. Je n’ai pas le cœur à me réjouir. Les accords de Munich ne nous envoient pas à la guerre, ils nous laissent vivre — mais ils nous préparent des jours affreux. Nous allons savoir désormais ce qu’est la pression hitlérienne. Il serait logique que la France penche à droite et qu’on assiste en Roumanie à un réveil brutal de l’antisémitisme5. »
L’avenir allait hélas lui donner raison ; l’écrivain-avocat juif roumain montre ici sa grande lucidité et une rare capacité d’analyse, qualités qu’on retrouve sous sa plume dans la toute première étude consacrée à la correspondance de Proust dans le monde. Plus de 80 ans après sa parution en volume (1939), le public francophone peut enfin découvrir ce document dans une traduction et une présentation de Laure Hinckel. Sebastian était francophone et francophile (et lecteur insatiable de la littérature française de son temps) comme d’innombrables Roumains qui ont tissé une relation spéciale entre ces deux cultures. L’amour de Sebastian pour Proust est un amour absolu et ancien : sa première contribution proustienne remonterait au 30 novembre 1927, l’année où la parution de la Recherche s’achève enfin.

Disposant d’un corpus de lettres qui s’apparente à un échantillon (les 1200 réunies chez Plon dans la Correspondance générale de 1930 à 1936, alors que Kolb en réunit près de 40006), tel Baudelaire qui induisait l’infini d’un simple morceau de ciel aperçu par un soupirail, Sebastian comprend des choses que bien des critiques et commentateurs, malgré un corpus bien plus étoffé, mettront des décennies à appréhender.
« Nous sommes évidemment bien loin, » écrit-il au seuil de son étude, « de pouvoir parler d’édition complète de la correspondance de Marcel Proust.
Cela ne peut nous empêcher d’étudier la matière dont nous disposons et qui, par sa richesse, par sa diversité nous ouvre un champ de vision sur l’univers proustien. Le temps passant, la correspondance sera bien sûr augmentée de nouveaux textes découverts à leur tour, mais il serait exagéré d’en attendre la connaissance intégrale, car personne ne peut prévoir quand cette totalité sera atteinte. » Et il compare les lettres de Proust à la correspondance de Voltaire et de Madame Denis qu’on venait de découvrir et de publier, assurant que « Marcel Proust réserve probablement de telles surprises aux temps futurs7. »

Il évoque un peu plus loin la thèse à laquelle Philip Kolb est en train de travailler et dont il a entendu parler ; à cette époque, l’écrivain danubien n’a pas encore rencontré Antoine Bibesco — lequel vendra à Kolb les lettres de Proust en 1946, comme le consigne Paul Morand dans son Journal inutile8.
Des lettres de Proust à sa mère, Sebastian tire de nombreux enseignements. Tout d’abord il comprend , 60 ans avant Maman de Michel Schneider, qu’« Il n’est pas nécessaire d’entrer dans de grandes spéculations psychanalytiques pour observer que jamais Proust n’aurait écrit la Recherche pendant la vie de sa mère. Un sentiment de pudeur filiale l’en aurait empêché9. » Ensuite, il voit bien comment Proust superpose et déplace des éléments de sa biographie dans la Recherche, et comment ces mouvements constituent le travail romanesque en soi : « Son refus d’accepter la mort va si loin que dans le roman qu’il écrit, sa mère ne mourra jamais. Peut-être par superstition, peut-être par crainte de la voir mourir une seconde fois, peut-être enfin par désir de la croire toujours en vie.
Toutefois l’agonie de sa mère a été une chose trop grave, trop atroce pour que dans la Recherche Marcel Proust ne s’arrête pas devant elle et ne la revoie. Cette agonie, il va la reconstituer dans le roman, mais pour un autre personnage. Par une réelle substitution de personne, la grand-mère va mourir à la place de la mère10. »
Enfin Sebastian  perçoit aussi dans la correspondance « la chambre noire de son roman », ce qui fait écrire à Laure Hinckel justement que « Si cet essai de Mihail Sebastian avait eu le destin qu’il méritait, dès l’après-guerre, il aurait peut-être permis à quelques chercheurs de réaliser que la correspondance de Proust étaient bien le laboratoire de l’œuvre11. »

Le Jurnal, ce chef‑d’œuvre

Je fais le vœu que ce bref essai de Mihail Sebastian incite à lire d’autres livres de ce romancier et dramaturge de grand talent, et en premier lieu son extraordinaire Journal (Jurnal, 1935–1944), sans doute un des livres les plus puissants écrits au siècle dernier. Paru en 1998 en France, ce témoignage capital de la tragédie des juifs de Bucarest et de Roumanie a fait grand bruit et a été salué comme un chef‑d’œuvre par Philip Roth, Claude Lanzmann, Norman Manea ou Philip Sands. On ne peut imaginer observateur plus sensible et mieux informé de ces années terribles que le danubien-proustien. Chaque page de son Journal, surtout à partir de 1940, pourrait faire l’objet de longues études dans différentes spécialités, tant on a l’impression de voir l’histoire s’écrire sous nos yeux, ou plus précisément d’assister à la transformation de l’actualité en histoire ; lisant et citant Thucydide après le pogrom de Iasi (1941), on a parfois le sentiment qu’il sait très bien qu’il s’inscrit dans la généalogie des plus grands mémorialistes, et que sa voix portera bien des décennies après sa disparition : le Journal est un authentique trésor littéraire et historiographique, teinté d’un humour parcimonieux et bien noir.

Une confession post-mortem

L’intime, le quotidien trivial, les projets littéraires, les rêves nocturnes, les lectures (Shakespeare — logique, car il y a bien quelque chose de pourri au Royaume de Roumanie —, Balzac, Jane Austen, etc.) et les vicissitudes de sa triste existence s’y mêlent inextricablement. Et quand la voix du Jurnal se fait entendre pour la première fois en Roumanie en 1996, ce témoignage ressemble à une longue déposition post-mortem, une déclaration à charge contre des amis pour lesquels il confessait une indulgence douloureuse et coupable : Mircea Eliade, Emil Cioran, Nae Ionescu, Camil Petrescu, Felix Aderca12 et tant d’autres intellectuels dont l’antisémitisme, les sympathies fascistes, l’opportunisme, la lâcheté, et pour tout dire l’incroyable bêtise, s’étalaient au grand jour — jour après jour. Oui, ce récit de la trahison des clercs à la roumaine13 fait aussi du Journal de Sebastian un grand livre sur la bêtise intellectuelle et une leçon de courage. Par comparaison, le Journal de guerre de Paul Morand (qui, on le verra, pose ses valises à Bucarest fin août 1943) n’en ressemble que davantage à un catalogue d’indécences ordinaires.
Le Jurnal de Sebastian est enfin une documentation précise des discriminations à l’endroit des juifs roumains et de la roumanisation du pays, sans cesse plus délirante. Presque chaque nouvelle mesure, chaque nouvelle loi ou décret y est noté ou commenté. 

Au terme d’un ordre du ministère de la Propagande, les livres des auteurs juifs vont être retirés des librairies et des bibliothèques. J’ai vu aujourd’hui chez Hachette deux immenses tableaux imprimés en gros caractères : « Écrivains juifs ». Mon nom y figure, naturellement, comme celui d’un délinquant, d’un criminel, avec le nom de mes parents, ma date de naissance.

Mihail Sebastian, Journal, 5 novembre 1942


Mihail Sebastian était un mélomane invétéré, il passait ses soirées à écouter des retransmissions de grands concerts de Mozart, Bach, Prokofiev, etc. donnés à Varsovie, Zürich ou ailleurs : le Journal est truffé de ses impressions d’écoutes radiophoniques. Et soudain, pendant la terrible année 1941, alors qu’il lui est interdit d’exercer son métier d’avocat depuis un an, d’enseigner dans un lycée non juif, de conduire une automobile depuis 1939, que l’idée du suicide le hante, on lui retire un des derniers plaisirs de l’existence :
« Dimanche, 20 avril
Le soir
On confisque les radios [des Juifs14]. L’opération a commencé aujourd’hui, jour de Pâques, sans avertissement. Ce n’est pas une surprise. Il fallait même s’y attendre ! Mais c’est encore un coup qui me déprime15. » Le 18 août, nouvelle disposition ubuesque : « Les manchettes des journaux du soir : “Les Juifs déposent leurs vélos !” Je n’ai pas pu m’empêcher d’éclater de rire […] À partir de demain, les Juifs paieront le pain vingt lei, et les chrétiens quinze16. »

Les lois antisémites les plus dures en Europe

Affiche antisémite roumaine en noir et blanc de1937.
1937. Affiche électorale antisémite et antidémocratie en roumain et en ukrainien. « Frère chrétien, tu n’aimes pas ça ? Alors vote pour la 6e liste du Parti National Chrétien pour la Chambre et la 3e ligne pour le Sénat. La démocratie à l’épreuve des faits. » Les juifs sont assimilés au communisme et à la démocratie. Dans une parfaite continuité idéologique, en 1943, le maréchal Antonescu déclare : « nous savons tous ce que signifie la démocratie : une judéocratie ».

En août 1940, le roi Carol II et son premier ministre, Ion Gigurtu, signent des décrets fixant le statut des juifs en Roumanie. Ce vaste dispositif législatif ne s’embarrasse pas des nuances et des discussions byzantines nazies sur les métis17 (Mischlinge de premier et second degré) : la définition de qui était juif était particulièrement extensive, ce qui fait dire à l’historien Radu Ioanid, dans La Roumanie et la Shoah, que « le statut de Juif qui découlait de cette loi était à la fois plus étendu et plus sévère que la législation nazie18. » De facto, la législation roumaine de 1940 est tout simplement l’ensemble de lois antisémites le plus radical de l’histoire moderne en Europe. Comme on vient de le voir avec Mihail Sebastian, cet ensemble sera sans cesse augmenté et précisé par des décrets, établissant un véritable feuilleton antisémite roumain pendant la Seconde Guerre mondiale.
« Le Roumain est né poète », dit l’adage. Mais est-il né antisémite ? On peut se poser la question, quand on constate le rôle joué par le poète, traducteur et dramaturge antisémite Octavian Goga (1881−1938) dans la mise en place des discriminations. En effet, la Roumanie n’avait pas attendu les années 30 et son alliance avec l’Allemagne nazie en 1940 pour manifester son hostilité à l’endroit des juifs19. À cet égard, si la France a été le premier pays d’Europe à accorder la citoyenneté aux juifs, la Roumanie a été le dernier, en mars 1923.  L’antisémitisme est une donnée socio-culturelle roumaine importante, indéniable, et de nombreux héros de la nation roumaine étaient ouvertement et violemment antisémites. 

J’avais vu pour la première fois le drapeau rouge à croix gammée porté dans un faubourg de Bucarest par quelques garçons dont j’ignorais l’étiquette. Je les regardais avec une cordialité si visible, au milieu de l’affreux ghetto où se déroulait la petite cérémonie, qu’ils me tendirent tout un paquet de brochures antisémites.

Lucien Rebatet, Les Décombres, 1942

L’élément-phare de la mythologie et de la sémiologie nazies, le swastika, est par ailleurs l’emblème de la Ligue de Défense Nationale Chrétienne (LANC20) et le symbole officiel du Parti National chrétien (PNC). Les dirigeants de ces partis aimaient rappeler qu’ils arboraient le swastika dès 1910, bien avant qu’Hitler ne s’en empare.
Les juifs de Roumanie à partir des années 30 faisaient face à un problème majeur, car les différentes forces politiques en présence, malgré leurs désaccords, semblaient s’aligner au moins sur deux points : le nationalisme et l’antisémitisme. L’émergence de la Garde de Fer (« Légion de l’Archange Michel » à sa création, mais souvent nommée simplement « Légion » ), consécutive au départ de Codreanu de la LANC et soutenue par des idéologues comme le professeur d’université Mihai Antonescu, l’écrivain Mircea Eliade21, dont l’autorité et le prestige en Roumanie à cette époque étaient considérables, ou Emil Cioran, en est l’illustration la plus spectaculaire et son aura dépasse rapidement les frontières balkaniques.

Décombres roumains avec Lucien Rebatet

Lucien Rebatet (1903−1972), proustolâtre de la première heure22, a au moins deux bonnes raisons de s’intéresser à la Roumanie. La première, c’est qu’il s’est marié à une Roumaine (comme Paul Morand), Véronique Popovici, en 1933 (à Galați, en Moldavie, lieu de naissance d’Hélène Morand née Chrissoveloni23), dont il se plaît à dire qu’elle est plus antisémite que lui24 ; la seconde c’est évidemment sa prédilection pour toute forme d’antisémitisme. En 1938, il passe ses vacances d’été dans le pays de sa femme et en rapporte une suite de reportages, « une longue enquête » sur Codreanu et la Garde de Fer publiée dans Je suis partout entre septembre et décembre de la même année. Ces articles ne réservent aucune surprise de la part de l’auteur des Décombres, puisqu’il y développe sa rhétorique fasciste habituelle, mais cette fois sur un axe Bucarest-Paris. Cependant, il ne s’arrête pas à la capitale roumaine, il voyage aussi à la campagne et si le premier de ses papiers est d’une mièvrerie pittoresque quelque peu risible, la suite recèle quelques observations très justes sur le plan géopolitique, dont certaines prémonitoires et particulièrement inquiétantes. Rebatet écrit notamment que « Tous les chrétiens de Jassy haïssent les Juifs qui pullulent autour d’eux. »  La première partie de cette assertion sera vérifiée dans l’horreur du pogrom de Jassy à partir de la fin juin 1941, commis avec la participation active de la population et qui coûte la vie à 15000 juifs25. Un peu plus loin, il se plaît à rappeler que Codreanu a terminé ses études en France, à Grenoble, et il donne une définition très précise de son programme à son départ de la LANC : « Codreanu fonde pour son propre compte la Légion de l’archange Saint-Michel, avec douze camarades et les consignes suivantes, à la fois morales et religieuses : guerre aux Juifs, croyance, travail, ordre, hiérarchie, discipline, silence. Codreanu prend le titre de capitaine, le “Capitan”.»

Corneliu Zelea Codreanu, en tenue traditionnelle roumaine, inspecte des membres de la Garde de fer, circa 1934. D’après Getty image, Keystone, Hulton Archives.

« Une dictature judéo-maçonnique »

Puis Rebatet dénonce avec son cynisme habituel les contradictions et l’effet deux poids, deux mesures des démocraties occidentales, lesquelles condamnent la Garde de Fer tout en soutenant le Roi Carol II, dont il n’est pas douteux qu’il est un roi-dictateur. Bien vu, mais dans l’article suivant Rebatet retrouve vite la déraison et finit par retomber dans ses raisonnements circulaires : il voit dans les persécutions du pouvoir royal à l’endroit des Gardes de Fer un complot de plus et une dictature judéo-maçonnique26. À partir de ce passage, comme un moteur qui s’emballe, l’antisémitisme de l’écrivain monte dans les tours et passe en surrégime quand il visite « le couronnement du voyage, […] Cernautsi (Czernowitz27). »  : « Dans cette capitale de la Bukovine autrichienne, le Juif forme les deux tiers de la population, qui dépasse cent mille âmes. Il est là le maître pour ainsi dire depuis toujours. Il a modelé la ville à son image. Il en a fait une énorme porcherie. » Il s’aventure dans le ghetto, une de ses obsessions sempiternelles, où il voit « le Juif dans son uniforme rituel, […] le vieux Juif fidèle à toutes les traditions, portant le bonnet à queue de renard, […] le petit Juif rabbinique et […] le Juif qui préférera le négoce, qui arbore encore la lévite, mais de fantaisie. Je reconnaissais sous ces défroques tous nos Juifs peignés et lavés. Ce bedeau de synagogue, à tête d’Arabe négrifié, c’était, ma foi ! M. Herzog, dit Maurois28, M. Bergson29 trottinait, une besace à l’échine, M. Tristan Bernard s’épouillait la barbe, M. Bader suait sous son bonnet crasseux, M. Jean Zay — c’était un vendredi soir — allumait dans une pénombre pestilentielle les sept branches du chandelier30. »
Y avait-il aussi croisé un enfant de deux ans, accompagné de ses parents, qui furent par la suite déportés en Transnistrie en 1941 ? L’enfant qui en réchappa s’appelait Norman Manea : devenu un grand écrivain, il tirera de cette expérience une suite de nouvelles bouleversantes, Le Thé de Proust31.

Le roi Carol II, et jusqu’à sa destitution en septembre 1940, avait permis le plein exercice de la répression antisémite, d’abord avec le gouvernement Goga-Cuza, puis avec l’avènement du maréchal Antonescu allié à la Garde de Fer. Bientôt le Conducător (imitation servile de Duce et de Fürher en roumain) sera seul aux commandes après l’arrestation des légionnaires suite à la tentative de putsch et au pogrom de Bucarest (janvier 1941), le tout avec le soutien d’Adolf Hitler qui, dans sa stratégie balkanique, préfère la carte Antonescu à celle de la Garde de Fer. La situation des juifs roumains empire quand l’Allemagne et la Roumanie entrent en guerre contre l’Union Soviétique, ce qui permet de reprendre, en 1941, les terres cédées à l’URSS (une partie de la Bucovine et la Bessarabie) un an auparavant. La Transnistrie devient « le dépotoir ethnique » d’Antonescu et reçoit tous les juifs déportés des camps et des ghettos du nord du pays. Cette tragédie ne serait pas aussi notoire aujourd’hui sans sa documentation méticuleuse par l’avocat Matatias Carp dans Cartea Neagra, le livre noir de la destruction des juifs de Roumanie 1940–194432 (Denoël, 2009), une somme monumentale qui décrit au jour le jour leur extermination par des moyens diversifiés et particulièrement sordides.

Proust revient souvent sous la plume du diariste Mihail Sebastian, par exemple le 17 juin 1935 : « Albertine m’a donné une violente envie de revenir à Proust. Je relirai peut-être un volume du Temps retrouvé, le second de Du côté de chez Swann […] et, enfin, quelques pages d’À l’ombre des Jeunes filles… » avant de noter quelques passages du Marcel Proust de Robert de Billy, et de citer Sésame et les Lys, puis, juste après, dans la même entrée, il rapporte la conversation avec son vieil ami Nae Ionescu, l’idéologue antisémite de la fasciste Garde de Fer. Ce genre de télescopages et ces changements soudains de climat sont monnaie courante dans le Journal.
Sebastian aime également retrouver les personnages de la Recherche dans ses relations, jusqu’à s’identifier à Swann, tout du moins dans les années qui précèdent la guerre (le 30 décembre 1936 : « Avec qui n’a‑t-elle pas couché, cette douce enfant ? Je ne m’étais jamais aussi bien rendu compte à quel point elle ressemblait à Odette et à Rachel. Mais je crois que je commence, moi, à ne plus ressembler à Swann. »
La Recherche était devenue cet « organe vital33 », cet instrument d’optique par lequel Sebastian  verra désormais le monde, comme tant d’autres lecteurs avec lui et et après lui :
« Marcel Proust n’est pas pour nous ce qu’on appelle un « auteur préféré », mais une existence chérie, un homme issu de notre intimité la plus profonde, un destin incorporé à notre propre destin. Ce n’est pas un romancier, c’est un frère. Un homme qui a pensé pour nous, avant nous, beaucoup de choses essentielles, puis qui est passé directement non pas dans notre expérience littéraire, mais dans notre expérience de la vie. C’est un souvenir auquel nous nous référons toujours, dans nos heures d’amour, de dégoût ou de doute, avec le sentiment de revivre des instants vivants d’un passé qui a été le nôtre.
Il ne s’agit pas d’une admiration critique. Elle passe au second plan. C’est un véritable amour pour cet homme, pour son ombre, pour tout ce qui fut sa vie, son agitation, sa tendresse, pour tous ses proches, pour tout ce qui l’entourait. Proust, comme Stendhal, n’est pas pour nous une lecture, mais une amitié absolue34. »

Sebastian rencontre le La Rochefoucauld de Maxim’s

Un des passages les plus drôles suscité par ce tuilage entre réalité et fiction est noté le 7 février 1939 : « Déjeuner hier chez Blank avec M. de Norpois. Il s’appelle en réalité “comte de La Rochefoucauld”, mais il est un Norpois typique. J’avais envie de lui demander  s’il avait lu Proust et s’il ne trouvait pas la ressemblance frappante. C’eût été bien entendu une goujaterie, mais je n’ai, de toute façon, guère fait montre de tact pendant notre conversation […] Comme il parlait sans cesse de son passeport diplomatique, je le prenais pour un diplomate français, de sorte que la violence de ses attaques contre les socialistes (Blum en particulier), l’ardeur de ses sympathies franquistes, son mépris des républicains espagnols, la joie avec laquelle il attendait la victoire nationaliste ne manquaient pas de m’étonner. Outré, je lui ai fait remarquer que la France aurait dès lors encore une frontière à défendre35. »
De toute évidence, Sebastian ne sait pas à qui il a affaire. Le « comte » réactionnaire était un ami ancien de Marcel Proust et fréquentait assidûment la Recherche, puisqu’il s’agit de l’écrivain Gabriel de La Rochefoucauld36, le “La Rochefoucauld de Maxim’s”. Deux ans avant son passage à Bucarest, celui-ci revisitait à sa manière, en évoquant Marcel Proust dans le numéro de Gringoire du 5 mars 1937, les pires thèses raciologiques de l’époque :
« Il était demeuré jusqu’à la fin de sa vie extrêmement jeune de caractère, ayant conservé une sensibilité d’adolescent, presque d’enfant. On se demande même si cette maladie perpétuelle, qui datait de sa jeunesse, ne l’a pas fait bénéficier d’une enfance prolongée. Il paraît, en effet, que c’est à la prolongation de l’enfance dans la race blanche, prolongation due aux méthodes d’éducation employées depuis de longues années, que serait due la supériorité de la race blanche sur les autres races. Proust a joui indiscutablement de facultés différentes de celles dont héritent les humains les mieux doués. »

Antoine Bibesco (1878−1951)

Tout au long du Journal, on suit ainsi  Mihail Sebastian en compagnie des amis de Proust, dont un des plus fidèles : le prince Antoine Bibesco (Anton Bibescu). Le diplomate-dramaturge, à la retraite depuis 1933, vit entre Bucarest, Corcova et Paris jusqu’aux années de guerre, qu’il passe en Roumanie jusqu’à l’arrivée des Soviétiques : il quitte les Carpathes après la mort de sa femme Elizabeth (le 7 avril 1945), sans doute au plus tard au début de l’année 1946.

  • Antoine Bibesco à Corcova
  • Plan du domaine Bibesco à Corcova


La première apparition du prince dans le Journal date du 5 décembre 1937, mais Sebastian et Bibesco s’étaient déjà rencontrés auparavant — le premier signale en effet qu’il ne l’avait pas revu « depuis des années ». De façon amusante, cette rencontre a lieu à un récital de Georges Enesco, compositeur que la mère d’Antoine avait lancé dans son salon parisien et qu’il avait fait découvrir à Marcel Proust. Dans un texte bien informé37, l’interprète, diplomate et historien Mihai Sturdza (1934−2020) affirme qu’Antoine Bibesco « avait cru retrouver [en Mihail Sebastian] une sorte de réincarnation de Proust38 ».

Le prince Antoine ne couchait pas seulement des rapports de politique extérieure sur papier : sa réputation d’hommes à femmes (euphémisme) le précédait souvent. Ainsi avait-il été surnommé « L’athlète du boudoir39 » par la romancière Rebecca West, avec laquelle il n’avait pas échangé que son idée de la littérature sur l’axe syntagmatique. Sturdza va même plus loin en démontrant de façon très convaincante qu’Antoine Bibesco est le héros caché des Onze Mille Verges40 (1907) de Guillaume Apollinaire sous le nom potache de Mony Vibescu (à prononcer à la française), soit, à une lettre près, le nom de Bibescu. Si je fais cette parenthèse, ce n’est pas seulement pour le plaisir de citer une plaisanterie gauloise, mais pour mieux éclairer, grâce à Apollinaire, un cas de tabou linguistique. Les noms roumains à désinence en -escu, et plus particulièrement la dernière syllabe, posent un problème d’euphonie en langue française. Une histoire de -cu en somme, et comme on ne laisse pas traîner, en typographie, une césure en cul- ou en con- en bout de ligne, on ne doit pas laisser un ‑cu à la fin d’un patronyme roumain41. L’usage a voulu qu’on modifie alors ces noms en les francisant en ‑co42. Dire ou écrire Popesco au lieu de Popescu (deuxième patronyme roumain le plus répandu) représente un cas d’euphémisme de bienséance et de tabou phonétique. Cet usage tombe lentement en désuétude à partir des années 60, quand la prononciation du u à la roumaine en ou se généralise à l’oral en français.

Les relations entre Mihail Sebastian et Antoine Bibesco évoluent au fur et à mesure du Journal. Méfiant et suspectant Antoine Bibesco d’un certain opportunisme au début, leur amitié prend un tour poignant quand Sebastian, sans le sou et réquisitionné pour le travail forcé, après avoir perdu son emploi, son appartement, bref quand il est proche d’être anéanti, reçoit le 14 octobre 1942 une proposition d’Antoine de lui prêter de l’argent, offre qu’il refuse. Entre le juif roumain déchu de sa nationalité, craignant une déportation soudaine et le fantasque, somptuaire aristocrate, un fossé s’est ouvert : « À la vérité, il pense être (et est effectivement) tellement loin, tellement étranger par rapport à la Roumanie et à Bucarest, qui sont pour lui une sorte de contrée barbare, de colonie pittoresque, qu’il ne se donne pas la peine de faire le moindre effort pour plaire aux indigènes. Il vit parmi eux comme s’il vivait parmi des Noirs, des Jaunes ou des Peaux-Rouges, s’intéressant parfois aux mœurs de l’endroit, mais sans s’estimer tenu de s’y plier43. »  

Sebastian à Corcova

Antoine l’extraterrestre, « le cinglé44 », et Elizabeth invitent Mihail Sebastian à Corcova, comme Antoine l’avait fait pour Marcel Proust 40 ans plus tôt. Dans les années 40 on doit, depuis Bucarest, mettre environ 6h pour rejoindre le domaine des Bibesco en voiture ou en bus, sans doute un peu moins en train, mais à la différence de Proust, Sebastian, fatigué, malheureux, accepte l’invitation. Bien lui en prend, car les séjours à Corcova, dont un de neuf semaines, loin des privations et des brimades de Bucarest, le rassérènent grandement. Sebastian à son retour dans la capitale traduit même en roumain (et en deux jours) Laquelle… ? Quatuor, la pièce d’Antoine publiée en 1930 chez Gallimard, sur laquelle il note ce jugement péremptoire : « Beaucoup d’esprit, mais pas sérieux, pas achevé45. »

Les vendanges à Corcova. Musée d’agriculture de Slobozia.

Le 29 juillet 1943, Sebastian rejoint Corcova, où il reste 37 jours, et où il écrit les deux premiers actes de sa pièce La Grande Ourse, parue en 44 sous le titre L’étoile sans nom46.  L’accueil des Bibesco lui fait écrire : « Je n’ai jamais rien connu d’aussi attentionné, délicat, discret que leur hospitalité. C’est un art, un métier, une vocation47. » L’ultime rencontre automnale avec les Bibesco décrite dans le Journal, quelques semaines plus tard, est bien moins idyllique et à l’image de cette relation agitée : « Ils ont été infiniment aimables avec moi à Corcova, mais à la longue ils deviennent fatigants. J’ai eu avec lui quelques moments de tension et même une dispute que j’ai crue irrévocable48. »

En Roumanie, voire à Paris, Mihail Sebastian avait forcément rencontré Priscilla Bibesco (1920−2004), la fille d’Elizabeth et d’Antoine, née à Londres le 5 juin 1920. L’enfance de Priscilla, à Londres, à Washington, à Madrid, à Paris et à Bucarest a sans doute dû ressembler à celle de bien des enfants de diplomates, ces étranges exilés perpétuels, déménageant sans cesse, sans amis durables, passant leurs soirées d’ennui avec des nurses au teint opalin tandis que leurs parents valsent de réceptions en dîners, de bals en représentations. On sait peu de choses de la discrète Priscilla, qui s’est tenue visiblement éloignée du monde proustien, mais une nécrologie de Simon Blow, parue dans The Independent, visiblement bien informée49 mais inélégante, montre une trajectoire peu banale. Priscilla n’aimait pas son père, qui lisait à haute voix des extraits du journal intime de sa fille lors des dîners mondains. Quant à sa mère, fille du Premier ministre britannique Henry Herbert Asquith, autrice, amie de George Bernard Shaw, brillante selon les témoignages unanimes50 mais alcoolique, elle en était plus proche et Priscilla a dû la ramener plus d’une fois à la maison lorsque Lady Asquith, Princesse Bibesco, n’était plus en état de marcher. À Madrid, pendant la légation d’Antoine dans la capitale espagnole (de 1927 à 1931), Elizabeth la libérale a vécu une histoire d’amour passionnée avec José Antonio Primo de Rivera (fils du dictateur pré-franquiste), créateur de la Phalange espagnole. Entre Antoine le sexomane et l’amour tragique d’Elizabeth pour un fasciste, le couple Bibesco est loin d’être un modèle de bonheur conjugal.

La princesse Priscilla Bibesco (1920−2004), entre son père, Antoine Bibesco et sa grand-mère, Margot Asquith. Photo Marcus Adams, 9 décembre 1932. © Estate of Bertram Park / National Portrait Gallery, London

Priscilla est en Roumanie avec ses parents quand la Seconde Guerre mondiale éclate. Elle choisit la fuite et quitte le foyer parental en 1940 pour rejoindre le Liban en auto-stop. Selon sa nécrologie, elle arrive à Beyrouth en 1943, où les services secrets britanniques la repèrent. Et c’est ainsi qu’elle commence, en guise de couverture, un travail journalistique à l’Eastern Times, dans une rubrique nommée « Events of the Week ». Elizabeth meurt sans jamais revoir sa fille à l’âge de 48 ans ; elle repose dans le caveau de famille des Bibesco à Mogoșoaia51

Apprenant sa mort, Paul Morand fait la nécrologie d’Elizabeth Bibesco dans son Journal de Guerre avec la classe et la sollicitude qui le caractérisent : « Mort d’Elisabeth [sic] Bibesco, née Asquith. Nous avons été ensemble à nos premiers bals en 1913 à Londres. Elle avait 18 ans, moi 26. Elle était intelligente, fière de son esprit, fort sale, jaune de teint, assez laide, très amie de l’ambassadeur d’Allemagne, […] de Shaw, de l’intelligentsia de gauche alors germanophile […] Après 192052, Antoine l’épousa, par snobisme, et en eut Priscilla. Vers 1925, elle tombe dans la drogue et dans la boisson, se jette sur tous les hommes, Leger, Berthelot et, dit-on, même Mauriac. Jamais sur moi53. »
Priscilla Bibesco retourne vivre en Europe après la guerre, se marie en premières noces avec un Bulgare, puis en secondes avec le romancier Simon Hodgson. Entre les deux, on lui prête une liaison avec Arthur Koestler. En 1975, elle rompt avec sa discrétion habituelle pour évoquer sa grand-mère, Margaret Oxford, dans un article de La Revue des Deux Mondes. Sans descendance, elle meurt à Paris en 2004 où elle vivait dans l’appartement du 45 quai de Bourbon, propriété de la famille Bibesco depuis 1919.

Des Bibesco présents en Roumanie, Mihail Sebastian fréquente peu Marthe, qui lui demeure trop aristocratique, lointaine et incompréhensible54 : elle apparaît sporadiquement dans son Journal. Rappelé sous les drapeaux, il monte la garde sur les terres du palais de Mogoșoaia55 mais paraît tout ignorer des agissements de la cousine d’Antoine, que révèle Aude Terray dans sa biographie très documentée La Princesse Bibesco, frondeuse et cosmopolite, en puisant aux sources d’archives inédites (notamment roumaines). Parmi ses découvertes, trop nombreuses pour être énumérées dans le cadre de cet article, il apparaît que la Princesse Marthe, souvent objet d’un mépris certain de la part de ses contemporains et de la critique proustienne, jouait en coulisse une partition complexe et faisait un périlleux numéro d’équilibriste afin que son pays échappe au nazisme comme au communisme au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Elle mène cette diplomatie de l’ombre, en compagnie de quelques amis, pendant toutes les années Antonescu et jusqu’à l’arrivée des Soviétiques, et plus particulièrement après le décès de Georges, son mari, en juillet 1941. 

Marthe Bibesco dans son intérieur du palais de Mogoșoaia, décoré par Fortuny. 

Marthe, une personnalité riche et complexe

Leurs amitiés britanniques, leurs sympathies socialistes et leur philosémitisme valent ainsi aux Bibesco (Marthe, mais aussi Antoine et Elizabeth) d’être surveillés de près par la Siguranța, la police secrète roumaine56. Selon toute logique, on peut supposer que cette police espionnait aussi Sebastian puisqu’il fréquentait les Bibesco. C’est une toute autre personnalité, riche et complexe, qu’on découvre alors, loin des représentations façonnées par les biographies précédentes. Les dimanches de 1941, Marthe accueille dans son palais, décoré par Fortuny, Jacques Truelle (1891−1945), qu’elle appelle « Frère Jacques57 », Henry Spitzmuller (1900−1990), René de Weck (1887−1950), et Jean Mouton (1899−1995). Cette sacrée brochette de lettrés forme le « cénacle de Mogoșoaia58 ». Officiellement, dans ce « royaume sans frontières » qui ressemble à une ambassade de la république des lettres, on parle bien sûr de littérature, on lit à haute voix des textes choisis, mais on commente aussi l’actualité de la guerre. Jacques Truelle59 était depuis mars 1941 l’ambassadeur de France à Bucarest et Henry Spitzmuller son premier secrétaire ; Jean Mouton60 dirigeait l’Institut Français de Bucarest ; le Fribourgeois René de Weck est ambassadeur de Suisse.
Jean Mouton, qui finit sa carrière comme conseiller culturel à Londres en 1969, écrit pendant ses années roumaines un livre sur Proust, dont il confie le manuscrit à Mihail Sebastian lors d’un déjeuner à l’Institut le 1er juillet 1943. Ne cherchez pas cet épisode dans l’édition française du Journal, il ne s’y trouve pas — je reviendrai sur ce caviardage un peu plus loin.
L’ouvrage, Le Style de Marcel Proust, est finalement publié en 1949 et Jean-Yves Tadié s’en souvient favorablement comme d’une étude pionnière61. René de Weck, romancier, tenait avant la guerre une chronique des lettres romandes dans Le Mercure de France ; enfin, Henry Spitzmuller est un spécialiste de la poésie médiévale62

Jacques Truelle, le poilu mutilé

Au printemps 2022, le grand public découvre l’action de Jacques Truelle à l’occasion de l’exposition du Mémorial de la Shoah « Les diplomates face à la Shoah ». 
Le 8 octobre 1914, Jacques Truelle, alors âgé de 23 ans, est amputé d’une jambe dès les débuts de la Grande Guerre et, hasard du front, se trouve alité à côté de Nissim de Camondo63. De retour à Paris, il porte une prothèse, et si je m’attarde sur ce membre fantôme, c’est que la jambe de bois du poilu Truelle va jouer un rôle majeur dans la suite de notre histoire.
Jacques Truelle connaît Marthe depuis 1918, il était alors en poste à Rome. C’est un des « amis de 1917 » de Proust, ces nouvelles connaissances de l’écrivain qui se mêlent aux plus anciennes et qui comptent dans leurs rangs Paul Morand, Hélène Soutzo ou Jacques Porel. Truelle, Morand, la princesse Soutzo et Proust partagent notamment un dîner au Ritz le 25 novembre 191764. Morand et Truelle, admiratifs tous deux d’Antoine Bibesco, sont liés à cette époque, mais cette amitié ne résistera pas au régime de Vichy. Tout en continuant à recevoir dans son palais Mihai Antonescu, le vice-premier ministre qui procède à la déportation des juifs, Marthe Bibesco s’active pour sauver des juifs et plus particulièrement des enfants. Les recherches d’Aude Terray ont permis de mettre au jour cet engagement de Marthe, totalement occulté, voire falsifié par ses biographes antérieurs, auquel l’historienne consacre plusieurs pages importantes65. Le portrait de Marthe, redessiné ainsi, est plus encore celui d’une anti-Princesse Soutzo, d’un double négatif de l’épouse roumaine de Paul Morand — qu’il appelle « la dogaresse dans les maïs66 ».

René de Weck, qui a ses bureaux dans le palais de Mogoșoaia, Marthe Bibesco, Jean Mouton et Jacques Truelle sont donc sur la même longueur d’ondes sur le plan idéologique et ont clairement désigné leur camp. Dans leur cénacle, Laval, l’« infâme bougnat67 », semble faire l’unanimité contre lui, alors que le Journal de guerre de Morand n’est qu’une longue déclaration d’amour au « maquignon de Châteldon68 ». Morand ose même comparer Laval à Gilberte Swann : « Laval est resté en France en 1940, comme Gilberte retourne en 1914 à Tansonville, pour rencontrer les Allemands et défendre contre eux son château69. » Le passage de Jacques Truelle à la France Libre, diplomate fidèle à Pétain dans les premières années de la guerre a, semble-t-il été accéléré par le retour en grâce de Laval à Vichy en 1942. Cette conversion ayant été documentée en détails par l’historienne Catherine Nicault70, je n’y reviens pas plus longuement. Cependant, à lire les rapports envoyés par Truelle à Vichy — qui restent lettre morte comme l’étaient les suppliques adressées à Pétain71 — il paraît évident que le sort des juifs roumains le révoltait tant qu’il semble avoir précipité sa conversion au gaullisme. 

Je suis la captive.

Marthe Bibesco, lettre à Paul Claudel depuis la Roumanie, 1945

L’unité remarquable de la légation française éclate pourtant quand Henry Spitzmuller et Jacques Truelle rivalisent pour s’exfiltrer au plus vite, le premier s’étant engagé en résistance plus tôt que le second. La priorité est cependant donnée à Truelle, qui utilise de façon machiavélique son infirmité comme subterfuge ultime pour quitter Bucarest : « il part pour la Turquie via la Bulgarie par le train des wagons-lits “sous prétexte d’aller se faire soigner à l’hôpital français d’Istanbul”72 ».  Et Jean Mouton raconte ainsi la fin de cette épopée sur une jambe : « Il n’avait emporté aucun bagage, sauf une mallette qui contenait sa jambe artificielle […]. Le prétexte du voyage était de faire réparer cette jambe […]. Les autorités roumaines ont fermé les yeux sur ce départ ; elles en ont été un peu complices. Killinger, ambassadeur du IIIe Reich, ne sera informé que huit jours après ; il entrera dans une violente colère. »
Qui serait assez cruel pour demander des explications sur la réparation d’une jambe de bois à un mutilé de guerre ? D’Istanbul, le capitaine Achab de la France libre rejoint ensuite Madrid où il prend la tête de la Mission de la France combattante. Pendant ce temps-là, à Bucarest, Spitzmuller est condamné à patienter jusqu’à son départ pour Lisbonne en 1945 où il rencontre Mircea Eliade… à qui il accorde un visa pour la France73.

Un proustien chasse l’autre

Paul Morand ne manque rien de la fuite de son ancien ami et désormais ennemi politique. Huit jours après l’évaporation de Truelle, Laval lui propose le poste à Bucarest, qu’il accepte74. Un proustien chasse l’autre… mais Proust, lui, en pinçait probablement pour les deux diplomates. Ces derniers se livrent un vrai duel à distance : « Dans quelque temps, vous verrez arriver mon remplaçant, ce sera Paul Morand. C’est un homme charmant mais ne l’écoutez pas75 », recommande Truelle à Jean Mouton et à ses collègues de la légation, ce à quoi Morand semble répondre avec perfidie et une certaine délectation, depuis la France : « Il [Truelle] avait d’ailleurs de l’argent à Londres, je le sais depuis longtemps. Il va être révoqué76. »
Dans les circonstances et le contexte du Bucarest de la fin de l’été 1943, la légation proposée à Morand, sorti de la retraite, est tout sauf un cadeau. Il le sait car on l’avertit : il ne sera pas accueilli à bras ouverts dans les Balkans, mais il s’en fiche car il a d’autres vues, notamment récupérer les biens de sa femme77. Le nouveau ministre de France connaît bien la Roumanie, qu’il a visité à six reprises en dix ans78 comme le rapporte Pauline Dreyfus, sa biographe, avant de livrer cet instantané : « Le 28 août 1943, c’est lui [Henry Spitzmuller] qui accueille Morand et sa tonne et demie de bagages en gare de Bucarest : ce fut glacial. Il a beau avoir été prévenu, Morand n’imaginait pas l’ampleur du rejet que suscite sa personne. “Être de Vichy, c’est mauvais genre. Un dandy se doit d’être gaulliste, bien que tout le monde le soit, depuis l’élève de quatrième jusqu’au référendaire en retraite. Une réprobation sociale accompagne la mise à l’index politique. Je ne donnerai pas ou peu de réceptions cet hiver, de peur des avanies. […] On me sourit encore comme vieil ami de la Roumanie, mais il ne faut pas que j’en demande davantage”79. » 

Paul Morand chez lui. Paris, vers 1930. Collection Harlingue / Roger-Viollet.

De fait, c’est un Paul Morand plutôt détaché d’ambassade dans la période « la moins glorieuse80 » de sa vie qui se dessine au fil du tome 2 du Journal de guerre magistralement édité par Bénédicte Vergez-Chaignon. Comme on dirait d’un lycéen qu’il sèche souvent les cours, Morand glande et passe, en cumul, plus de 5 mois loin de Bucarest (notamment à Vichy, Paris, mais aussi Odessa ou la montagne de Transylvanie) où les amis de Truelle lui mènent la vie dure, le menaçant même de mutinerie81. Entre deux blagues pathétiques sur les juifs (ou le noir qu’il vient de faire virer de l’ambassade), une tentative pour faire congédier deux dactylos de l’ambassade dont les compagnons sont juifs, ses trafics de devises délirants82, des entrées où il radote, Morand réfléchit à sa future défense, car il sait parfaitement que la guerre est perdue — il prépare sa retraite, dans tous les sens du terme. Pour se défendre, il établit notamment la liste des juifs qu’il a aidés (assez courte) : pour lui en 1944, comme pour le maréchal Antonescu à partir de la mi-1942, les juifs sont considérés comme une simple monnaie d’échange.
Certaines entrées du Journal de guerre sont stupéfiantes, surtout si on les confronte au Journal de Sebastian à la même période, où celui-ci est  affamé, rançonné par les autorités et manque de tout. Assurément, Sebastian et Morand, s’ils vivent dans la même ville et sont peut-être séparés de quelques centaines de mètres, ne vivent pas dans le même monde : « À Budapest, à Sofia, la vie est beaucoup plus difficile qu’ici. Il y a maintenant des cartes pour tout, et l’alimentation est très défectueuse. En Roumanie c’est l’abondance. Il n’y a pas de marché noir ; à part quelques produits taxés, tout est libre. Et même, pour avoir de la farine noire, car les gens du peuple la préfèrent, on est obligé d’acheter de la farine blanche83. »

Il y a un an, Pétain, devenu président du Conseil, demandait l’armistice. Inoubliable jour de deuil. J’avais le cœur brisé. Depuis, la chère image de la France n’a cessé de se ternir, de s’avilir, jusqu’à en être défigurée, grimaçante.

Mihail Sebastian, Journal, Bucarest, Mardi 17 juin 1941

À huit heures, nous redescendons, Hélène et moi, dîner chez le Maréchal […] J’ai rapporté du caviar (un kilo sous une poche à glace) […] Ménétrel et sa femme, voyant qu’Hélène prend très peu de caviar, disent : « Bravo ! Mme Morand n’aime pas le caviar ! » De sorte que l’amiral et le général n’osent plus se servir.

Paul Morand, Journal de guerre, Vichy, 26 octobre 1943

Pendant tout son séjour à Bucarest, Morand ne verra pas une seule fois Antoine Bibesco, l’homme qui lui avait présenté sa future femme en 1916, et pour cause : Morand est brouillé avec le clan Bibesco depuis plusieurs années. À l’origine de cette brouille, qui remonte sans doute à 1933 (et en plus de la détestation ancienne — 191484 —  des deux princesses roumaines), se trouve un article des frères Tharaud, auquel Hélène Morand répond dans Candide en janvier 1933, au sujet du sabotage de puits de pétrole roumains de Campina, Ploesti et Moreni pendant la Première Guerre mondiale. Hélène Morand attribue ce fait de guerre, profitable aux alliés, à son frère, Jean Chrissoveloni. Or, le mari de Marthe et cousin d’Antoine, Georges Bibesco, avait reçu un ordre de mission pour ce sabotage et l’avait mené à bien85. Hélène Soutzo ne démordra jamais de cette fiction, dont Paul Morand était solidaire. Quand Antoine, à l’invitation de Jean Mouton, donne une conférence sur Proust à l’Institut Français de Bucarest à la fin de novembre 1943, Morand se fend forcément d’un sarcasme : « Je n’ai pas été à la conférence Bibesco. Il lit la correspondance de Proust. “Je passerai ceci, comme trop de flatteries pour moi” dit-il. Et il lit en ne passant rien du tout86. »

Comme évoqué plus haut, le nom du gaulliste Jean Mouton n’apparait pas dans la traduction française du Journal de Mihail Sebastian. Le nom de Jacques Truelle, « envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire » à Bucarest, lanceur d’alerte dans le désert antisémite de Vichy puis membre actif de la France libre, en est également absent. Mais, de façon tout aussi étrange, le passage le concernant, dans l’entrée du 25 septembre 1943 a aussi été caviardé dans la traduction d’Alain Paruit. Le voici, traduit directement de la version roumaine :  « “Nous en avons encore pour deux ans* » dit Jacques Truelle (avec lequel j’ai dîné mercredi soir, à la table des Bibesco, à l’Athénée). « Tout se terminera en décembre-janvier », disait Braniste (qui est rentré de Tiraspol87 pour un court congé). L’un et l’autre ont des arguments. Nous avons tous des arguments88. »
Il faut attendre la page 557 de l’édition française pour apprendre que la version que le lecteur vient de lire n’est pas le Journal intégral de Mihail Sebastian. Dans le dernier paragraphe de la « Note du traducteur », Alain Paruit indique que « La version que nous en donnons n’est pas intégrale. Nous avons coupé par endroits des passages qui n’auraient pas été compréhensibles par le lecteur français sans de longues notes sur des circonstances ou des personnages roumains de l’époque89. »
Ce qui est incompréhensible, pour reprendre l’adjectif utilisé par Alain Paruit, c’est que de très nombreux noms d’obscurs personnages roumains (pour un lecteur francophone) soient demeurés dans son édition, sans aucune note pour préciser leur qualité, et que le nom de Jean Mouton et de Jacques Truelle, résistants français, qui peuvent intéresser au premier chef un lecteur, un chercheur, un historien français, aient été retirés.

Selon Alexandra Laignel-Lavastine, qui connaissait bien Alain Paruit et qui s’était entretenue avec lui à maintes reprises, le Journal de Sebastian a perdu « environ 20% du texte intégral90 ». L’édition du Journal en langue française est particulièrement paresseuse : presque pas de notes, pas d’index, pas d’appareil critique. Un telle œuvre nécessiterait une édition scientifique, à la manière du travail de Bénédicte Vergez-Chaignon réalisé pour les deux tomes du Journal de Guerre de Paul Morand.
Pour toutes ces raisons, et en premier lieu le caviardage dont il a fait l’objet, il n’est pas exagéré d’affirmer que le Journal de Mihail Sebastian reste inédit en français.
En 1933, l’ami de Sebastian Camil Petrescu publiait un roman intitulé Le Lit de Procuste, sous haute influence proustienne. Ironiquement, le Lit de Procuste, c’est aussi, et au sens littéral, le Journal de Mihail Sebastian en version française.

Eugène Ionesco ne se prive pas de critiquer l’imitation du style de Proust dans Le lit de Procuste de Petrescu de façon très virulente dans Nu (Non), paru en roumain en 193491.
Parmi les grands amis de Mihail Sebastian se trouve celui qui va devenir un des dramaturges les plus célèbres du monde : Eugen Ionescu, le futur Eugène Ionesco (il est naturalisé français en novembre 1957) fait son apparition dans le Journal le 15 juin 1940. Il a 31 ans et a fui Paris qui, depuis la veille, est occupé par les Allemands. Ionesco entretient une relation complexe à la Roumanie et à la langue roumaine : bien que né à Slatine (Slatina), il vit en France (de 1911 à 1923) et sa langue maternelle est le français. En lisant Sebastian, on pense souvent à Rhinocéros, une des pièces majeures de Ionesco, et à la rhinocérisation des personnages, qui semble nourrie des mêmes observations que celles du danubien et qui rappelle les métamorphoses fascistes de leurs amis d’alors (dont certains deviendront communistes)… et du propre père de Ionesco. Son intérêt pour Proust, qu’il lit évidemment dans le texte, est précoce : il prononce sa première conférence sur l’écrivain à l’âge de 22 ans, en 1931, mais il ne cessera d’y faire référence dans des entretiens ou des essais, et notamment « Proust incorporé92 ». Les rapports de Ionesco à Proust, et de Ionesco aux écrivains proustiens en France et en Roumanie, mériteraient une analyse au long cours ; par ailleurs, la question de l’identité juive du dramaturge est notamment une équation si complexe qu’elle ferait passer celle de Proust pour une addition de cours élémentaire.

Cela me rappelle que lui, Radu Cioculescu, a également refusé des tickets pour les concerts de l’orchestre de Berlin cet été, parce qu’il refuse tout contact avec une institution hitlérienne.
Un homme étrange. Probablement le seul Roumain radical ici.

Mihail Sebastian, passage caviardé de l’édition française du Journal, 11 octobre 1936
Radu Cioculescu, traducteur de Proust en roumain.

Ainsi, les analyses du Non de Ionesco sont savoureuses à plus d’un titre, mais particulièrement lorsqu’il évoque les gendelettres roumains de l’époque et leur allégeance ou leur opposition à Proust. Sous la plume de Ionesco, on apprend ainsi que Șerban Cioculescu « est le plus illustre détracteur roumain de Marcel Proust93 »… ce que Ionesco ne semble pas savoir (et pas même Sebastian), c’est que le frère de Șerban, Radu, en est, à l’inverse, le plus grand laudateur : c’est en effet lui qui traduit Du côté de chez Swann pendant le cauchemar des années de guerre. J’écris « cauchemar », mais le mot est faible car le capitaine Radu Cioculescu (1901−1961), ancien directeur-adjoint de l’Opéra roumain et de la Philharmonie, se trouvait en Transnistrie en 1941, notamment devant Odessa et il y a assisté aux pires atrocités. Quelques lettres de novembre 1941 conservées aux archives Nationales de Roumanie évoquent des exécutions sommaires d’enfants juifs, au bord des routes. Son attitude antifasciste et notamment son indignation lors des massacres lui vaut d’être arrêté par la police militaire d’Antonescu et d’être déporté au camp de Târgu Jiu, à 60 km au nord-est de Corcova. Il est ensuite envoyé sur le front russe, à Stalingrad, par mesure de représailles. Au front, à Odessa et à Stalingrad, il avait emporté sa machine à écrire et ses volumes de Proust et poursuivait sa traduction de Swann dès qu’il était au repos94.

Il était une fois Strul Moscovici

C’était un jeune homme de grande taille qui dénégeait de force les rues de Bucarest ; il œuvrait peut-être parfois aux côtés de Mihail Sebastian, sans qu’ils sachent jamais leurs affinités communes.
Strul Herş Moscovici, jeune garçon juif, fils d’un modeste marchand de céréales, quitte son village de Bessarabie pour Bucarest. Dans la capitale, en vertu des lois antisémites de 1938, alors qu’il n’a que dix ans, il est exclu de son lycée avant de réchapper, en 1941, au gigantesque pogrom de janvier. Avant même d’entrer dans l’adolescence, il entre dans une « culture de la mort » qui va durer une décennie. Puis vient le travail forcé et la peur de la déportation, et au milieu de cette désolation, quelque chose comme une planche de salut : « Aux heures les plus sombres de la guerre, j’avais découvert, grâce aux grands auteurs français, ce qu’était une pensée et une culture supérieures. Etant donné que mes camarades et moi nous intéressions à la chose littéraire, cet engouement était prévisible. Je possédais quelques rudiments de français, mais nous avions décidé, pour être capables de lire, de l’apprendre de façon plus systématique. Un projet qui, pendant l’été 1942, nous précipita dans une folle effervescence, si bien que le français m’était devenu aussi vital que l’air et la lumière.
Le Grand Meaulnes fut mon premier roman lu sans dictionnaire. Les yeux embués de larmes, je me voyais à l’image du héros, banni de mon enfance et de ma terre natale […] J’avais une passion pour Balzac et Proust, l’un m’ayant enseigné l’histoire de France, l’autre sa sociologie95 ». Il s’exile en France en 1948 où il rejoint à Paris ses deux amis, l’ethnologue Isac Chiva et le poète Paul Celan. Strul Moscovici devient Serge Moscovici, un important penseur des sciences sociales de la deuxième moitié du XXe siècle.

Entre tous les écrivains que je lisais, Proust est le seul à avoir touché en moi
une fibre inconnue, le seul auquel je me sois livré sans réserve.

Serge Moscovici, Chronique des années égarées, 1997

Parce qu’ils étaient bucarestois, Serge Moscovici et Mihail Sebastian ont survécu à la Shoah en Roumanie. S’ils savaient, sans pouvoir en mesurer toute l’horreur, les déportations de Bucovine et de Bessarabie en Transnistrie, l’existence des camps, les pogroms et les tueries abominables dans les territoires de la Grande Roumanie repris à Staline, ils ignoraient tout du projet d’extermination qui les aurait emportés, eux et les autres juifs de Valachie et de Moldavie. En 1942, année de la conférence de Wannsee qui marque une nouvelle phase dans l’extermination des juifs d’Europe, la pression des autorités allemandes se fait plus forte. 

« À la mi-1942, écrit Alexandra Laignel-Lavastine, le régime Antonescu avait effectivement commencé à préparer les plans de déportation vers Belzec de l’ensemble des Juifs et des Tsiganes de Roumanie. En juin, le camp se dota de six chambres à gaz supplémentaires, un transport quotidien de 2000 juifs en provenance de Roumanie pouvait donc être “liquidé” en trois heures. Le 29 juillet, le chef de la Gestapo à Bucarest, Gustav Müller, informe Berlin que la déportation des Juifs roumains “vers l’est”, par trains spéciaux, devait débuter le 10 septembre 1942 (une lettre en fait rédigée par Adolf Eichmann). À ce stade, leur sort semble scellé96. » Pourtant, tout est annulé, grâce à la convergence de plusieurs facteurs et événements. En premier lieu Antonescu avait sans doute compris que la guerre était perdue, et que le sort des juifs et d’autres minorités ethniques pourrait lui servir de monnaie d’échange. Ensuite, des différends importants commençaient à voir le jour entre Berlin et Bucarest et, enfin, l’action conjuguée du nonce apostolique, de la légation suisse (De Weck), de la Croix Rouge Internationale, du leader juif Wilhelm Filderman et du grand rabbin Alexander Safran a joué un rôle important dans cette volte-face.

Requiem pour Mihail Sebastian

1945. Publication de Du côté de chez Swann en roumain, dans la traduction de Radu Cioculescu. Le 29 mai de la même année Mihail Sebastian, fraîchement nommé maître de conférences à l’Université de Bucarest, est renversé par un camion russe alors qu’il s’apprêtait à donner son premier cours. L’écrivain irrécupérable était-il soluble dans la Roumanie communiste qui ne tarderait pas à incarcérer le traducteur de Proust, lequel devait mourir dans une geôle sordide après 20 ans passés en enfer ? 
Le maître d’Allemagne avait frôlé Mihail Sebastian de près. Alors qu’il avait survécu à la faim, au tremblement de terre de 1940, aux privations, aux humiliations quotidiennes, à la déportation, aux massacres de masse, la mort viendra pourtant, et elle aura pour lui les yeux froids des phares d’un camion soviétique.


Mulțumesc : Dan Burcea (et son magnifique blog Lettres Capitales), Alexandra Laignel-Lavastine, Daniel Palmieri (CICR), Laure Hinckel, Matei Chiaia, Anne Imbert (SAMP), Thierry Laget, Pyra Wise, Karen Taieb (Mémorial de la Shoah), Christelle Voisin (CNRS éditions), Radu Ioanid, Laurent Pfeffer, Aude Terray, Michael Sostarich & Dorothée Cunéo. 


Lectures

  1. Contrairement à ce qu’affirme la très fantaisiste notice Wikipédia de Marcel Proust, qui cite fautivement la biographie de Jean-Yves Tadié. ↩︎
  2. Benjamin Fundoianu, « Arta lui Marcel Proust », Rampa, 1921. En français, Benjamin Fondane, Images et Livres de France, traduction Odile Serre (Paris-Méditerranée, 2002). Texte repris dans Proust-Monde (Folio, 2022). ↩︎
  3. La première traduction était due à Radu Cioculescu. Elle commence avec la publication Du côté de chez Swann en 1945, mais s’acheva bien plus tard grâce au travail de sa femme et de son neveu. La deuxième traduction a été réalisée par Irina Mavrodin (de 1987 à 2000). ↩︎
  4. De Christian Péchenard, on doit lire Proust et les autres, qui réunit ses trois livres sur Proust (La Table Ronde, 2019). Dans un entretien téléphonique, Alexandra Laignel-Lavastine me racontait que son oncle l’avait incité à lire Proust et que le soir, elle avait droit à des interrogations surprises. ↩︎
  5. Mihail Sebastian, Journal (1935−1944), traduit du roumain par Alain Paruit (Stock, 1998), p.169. ↩︎
  6. On estime à 30000 le nombre de lettres de Proust en circulation, sur 100000 produites par l’écrivain. ↩︎
  7. Mihail Sebastian, La correspondance de Marcel Proust, traduit du roumain par Laure Hinckel, (Non Lieu, 2023), p.27. ↩︎
  8. Paul Morand, Journal inutile 1973–1976 (Gallimard, 2001), le 24 février 1973. ↩︎
  9. Mihail Sebastian, La correspondance de Marcel Proust, op. cit., p.74 ↩︎
  10. Mihail Sebastian, La correspondance de Marcel Proust, op. cit., p.72 ↩︎
  11. Mihail Sebastian, La correspondance de Marcel Proust, op. cit., p.18 ↩︎
  12. Traducteur du premier fragment de la Recherche en roumain : La umbra fecioarelor în floare. Andreaa-Anca Chetrariu, « L’histoire de la traduction de l’œuvre de Proust en roumain » ↩︎
  13. Mihail Sebastian avait sans doute lu Julien Benda, dont il cite un article dans La correspondance de Proust, p.102. ↩︎
  14. « Par le décret-loi n°1253 du 7 mai 1941, les Juifs (tous ceux dont les deux parents sont Juifs ou seulement l’un des deux, qu’eux-mêmes soient ou non adhérents d’une religion autre que la religion mosaïque, et qu’ils soient ou non citoyens roumains) durent remettre leurs postes de radio au commissariat le plus proche dans un délai de quinze jours. » Radu Ioanid, La Roumanie et la Shoah, (CNRS éditions, 2023), p.75. Dans la même page, l’historien indique que l’accès aux plages leur était interdit par un arrêté du 26 août 1941. ↩︎
  15. Mihail Sebastian, Journal (1935−1944), op. cit., p.310. ↩︎
  16. Mihail Sebastian, Journal (1935−1944), op. cit., p.443. ↩︎
  17. Voir à ce sujet Marie-Anne Matard Bonucci, Demi-juifs, Mischlinge, misti : l’incertaine ligne de partage des persécutions, Revue d’histoire moderne et contemporaine n°62. ↩︎
  18. Radu Ioanid, La Roumanie et la Shoah, op. cit., p.63 ↩︎
  19. Pour une synthèse de la genèse de l’antisémitisme roumain, voir Radu Ioanid, La Roumanie et la Shoah, op. cit., pp. 24–41 ↩︎
  20. La LANC proclame que les Roumains sont des Aryens dès 1932. Radu Ioanid, La Roumanie et la Shoah, op.cit., p. 48 ↩︎
  21. Voir Alexandra Laignel-Lavastine, Cioran, Eliade, Ionesco : l’oubli du fascisme PUF, 2002. ↩︎
  22. Voir notre article : « Rebatet-Cousteau, quand deux vaincus lisaient Proust en prison » ↩︎
  23. Pauline Dreyfus, Paul Morand, (Gallimard, 2020), p. 72 ↩︎
  24. Lucien Rebatet, Les Décombres in Le Dossier Rebatet, édition établie par Bénédicte Vergez-Chaignon (Robert Laffont, Bouquins, 2015), p. 189 ↩︎
  25. Jean Ancel, « Le pogrom de Iasi », Revue d’histoire de la Shoah, Mémorial de la Shoah, 2011. ↩︎
  26. Je suis partout, « Une dictature judéo-maçonnique ? » 21 octobre 1938, p.6 ↩︎
  27. Ville natale de Paul Celan. ↩︎
  28. André Maurois, auteur d’À la recherche de Marcel Proust (Hachette, 1949) ↩︎
  29. Bergson était un lointain cousin de Marcel Proust. ↩︎
  30. Je suis partout, « La Roumanie aux Roumains », 28 octobre 1938. ↩︎
  31. Albin Michel, 1990. ↩︎
  32. La traduction et l’édition scientifique de ce livre de près de 800 pages, devenu un classique, a été assurée par Alexandra Laignel-Lavastine. ↩︎
  33. Jérôme Prieur, préface à William Friedkin, Dans les pas de Marcel Proust, traduction de Nicolas Ragonneau (Editions La Pionnière, 2019). ↩︎
  34. Ces lignes de Mihail Sebastian, citées dans l’article « Pasiunea lui Mihail Sebastian pentru Proust », Observator Cultural, 2009, datent de 1935 mais je n’ai pu en retrouver la source. Traduction de Mihai Ceaumescu. ↩︎
  35. Mihail Sebastian, Journal (1935−1944), op. cit., p. 177 ↩︎
  36. Au sujet de Gabriel de La Rochefoucauld, Voir NRF,  Hommage à Marcel Proust, p.69 (Gallimard, 1923) ; Jean-Yves Tadié, Marcel Proust, t.2 (Folio, 2022), pp. 134–137 et le texte d’Adrien Goetz dans Le cercle de Marcel Proust III, sous la direction de Jean-Yves Tadié (Honoré Champion, 2021), p.97. ↩︎
  37. « Les Bibesco », Proust et ses amis, sous la direction de Jean-Yves Tadié (Gallimard, 2010), p.195. ↩︎
  38. « Les Bibesco », op. cit., p. 209 ↩︎
  39. Il était aussi surnommé « Divan le Terrible », surnom d’un autre ami de Proust : Jacques Porel, lui-même ami de régiment de… Jacques Truelle. Voir Jacques Porel, Fils de Réjane, (Plon, 1951–52) tome X, p. 228–229 ↩︎
  40. « Les Bibesco », op. cit., p. 202–203 ↩︎
  41. En anglais par exemple, les noms avec désinence en escu demeurent. ↩︎
  42. Certains textes des années 30 changent toutes les désinences en ‑u, comme dans le livre des Tharaud, L’envoyé de l’archange (Plon, 1939), où Codreanu devient Codreano. ↩︎
  43. Mihail Sebastian, Journal (1935−1944), op. cit., p.453. ↩︎
  44. Mihail Sebastian, Journal (1935−1944), op. cit., p.452 et p.502. ↩︎
  45. Mihail Sebastian, Journal (1935−1944), op. cit., p.490. ↩︎
  46. La pièce a été traduite en français : Mihail Sebastian, Théâtre (L’Herne, 2007). Henri Colpi en tire un film, sorti en 1966. ↩︎
  47. Mihail Sebastian, Journal (1935−1944), op. cit., p.499. ↩︎
  48. Mihail Sebastian, Journal (1935−1944), op. cit., p.502. ↩︎
  49. Simon Blow fait cependant de Priscilla la filleule de Marcel Proust, ce qui est inexact comme le montre Michael Sostarich dans son article 45, quai de Bourbon — Le Côté de Bibesco in Jürgen Ritte & Reiner Speck, Cher ami — Votre Marcel Proust (Snoeck, 2009), p.183 ↩︎
  50. « La femme la plus intelligente du monde » dixit Sebastian, qui paraphrase presque Proust dans sa correspondance ou dans Pastiches et mélanges. Journal, op. cit. p.183. ↩︎
  51. On peut lire : « Une conversation comme une anémone de mer : l’hommage d’Elizabeth Bibesco à Proust ». ↩︎
  52. En fait en 1919. ↩︎
  53. Paul Morand, Journal de Guerre – Roumanie-France-Suisse 1943–1945, édition établie par Bénédicte Vergez-Chaignon (Gallimard, 2023), p. 557 ↩︎
  54. Mihail Sebastian, Journal (1935−1944), op. cit., p.489 ↩︎
  55. Mihail Sebastian, Journal (1935−1944), op. cit., p.188. ↩︎
  56. Cette surveillance se poursuit dès l’arrivée des Soviétiques en Roumanie. ↩︎
  57. Princesse Bibesco, La Vie d’une amitié, ma correspondance avec l’abbé Mugnier 1911–1944, (Plon, 1957). Voir par exemple la lettre du 21 juin 1942. ↩︎
  58. Aude Terray, Princesse Bibesco, frondeuse et cosmopolite (Tallandier, 2023), p.253. ↩︎
  59. Je sais que vous attendez une plaisanterie ou un jeu de mots sur ce nom. Mais cela n’arrivera pas. 
    ↩︎
  60. Jean Mouton : le panurgisme n’était pas son fort. ↩︎
  61. Voir Jean-Yves Tadié, Proust, le dossier Agora (Pocket, 2022) p.357. ↩︎
  62. Une de ses anthologies figure toujours au catalogue des Belles Lettres : Carmina Sacra (réédition en 2018). ↩︎
  63. Catherine Nicault, « De Pétain à de Gaulle : la trajectoire tourmentée du diplomate Jacques Truelle », Terres promises (Éditions de la Sorbonne, 2010). ↩︎
  64. Jean-Yves Tadié, Marcel Proust t.2 (Folio, 2022), p.531. ↩︎
  65.  Aude Terray, Princesse Bibesco, frondeuse et cosmopolite (Tallandier, 2023), pp. 253–255. ↩︎
  66. Paul Morand, Journal de Guerre – Roumanie-France-Suisse 1943–1945, p.128 ↩︎
  67. René de Weck, Journal de guerre (1939−1945). Un diplomate suisse à Bucarest, édition critique établie par Simon Roth (Société d’histoire de la Suisse Romande, 2001) p.486. ↩︎
  68. Le mot est de Léon Blum (1935). ↩︎
  69. Paul Morand, Journal de Guerre – Roumanie-France-Suisse 1943–1945, p.331. ↩︎
  70. Outre l’article cité plus haut sur Jacques Truelle, on peut lire « Spitzmuller, Truelle et Morand : diplomates en Roumanie pendant la Seconde Guerre mondiale » in Militaires et diplomates français face à l’Europe médiane : Entre médiations et constructions des savoirs (Paris : Eur’Orbem Éditions, 2017). ↩︎
  71. Voir le film de Jérôme Prieur conçu avec Laurent Joly, Les Suppliques, La Générale de production, 2022. ↩︎
  72. Catherine Nicault, « De Pétain à de Gaulle : la trajectoire tourmentée du diplomate Jacques Truelle », Terres promises (Éditions de la Sorbonne, 2010). La citation dans la citation est extraite du Journal de guerre de René de Weck. ↩︎
  73. Alexandra Laignel-Lavastine, Cioran, Eliade, Ionesco : l’oubli du fascisme (PUF, 2002), p.328. ↩︎
  74. Paul Morand, Journal de Guerre – Londres-Paris-Vichy 1939-1943, p.892. ↩︎
  75. Jean Mouton, Journal de Roumanie (L’Âge d’Homme, 1978), p. 57. ↩︎
  76. Paul Morand, Journal de Guerre – Londres-Paris-Vichy 1939-1943, édition établie par Bénédicte Vergez-Chaignon (Gallimard, 2021), p. 893. ↩︎
  77. Pauline Dreyfus, Paul Morand, (Gallimard, 2020), p.291. ↩︎
  78. Pauline Dreyfus, op. cit., p.279. ↩︎
  79. Pauline Dreyfus, op. cit., p.282. ↩︎
  80. Pauline Dreyfus, op. cit., p.285. ↩︎
  81. Jean Mouton, Journal de Roumanie, op. cit., p.61. Morand tait cette histoire dans son Journal de guerre. ↩︎
  82. Pauline Dreyfus, op. cit., p.291. En finances, cette pratique s’appelle l’arbitrage. ↩︎
  83. Paul Morand, Journal de Guerre – Roumanie-France-Suisse 1943–1945, p.90. ↩︎
  84. Paul Morand, Journal inutile 1973–1976, op. cit., p.220. ↩︎
  85.  Sur toute cette affaire, lire la lettre de Marthe à l’Abbé Mugnier du 30 janvier 1933 in Princesse Bibesco, La Vie d’une amitié, ma correspondance avec l’abbé Mugnier 1911–1944, op. cit. ↩︎
  86. Paul Morand, Journal de Guerre – Roumanie-France-Suisse 1943–1945, p.84 ↩︎
  87. Alexandra Laignel-Lavastine me signale que « Tiraspol, en Moldavie, point de passage des Juifs déportés de Bessarabie vers la Transnistrie, était surnommé le « royaume de la mort » ». ↩︎
  88. Traduit du roumain par Laure Hinckel à ma demande. ↩︎
  89. Mihail Sebastian, Journal (1935−1944), op. cit., p.557. ↩︎
  90. Alexandra Laignel-Lavastine, Cioran, Eliade, Ionesco : l’oubli du fascisme, op. cit. Note en bas de la page 189. ↩︎
  91. Eugène Ionesco, Non, traduit du roumain et annoté par Marie-France Ionesco (Paris, Gallimard, « Les Cahiers de la NRF), 1986, p. 166. ↩︎
  92. Lire Ionesco, E., & Rettel, M. (2012). « Proust incorporé » et « L’intégration de Proust dans la tradition française ». Bulletin d’informations Proustiennes, 42, 39–49.) ↩︎
  93. Eugène Ionesco, Non, op.cit., p. 110. ↩︎
  94. România Literară, 17–23 janvier 2001, p.3. ↩︎
  95. Serge Moscovici, Mon après-guerre à Paris, Chroniques des années retrouvées, texte introduit, annoté et établi par Alexandra Laignel-Lavastine (Grasset, 2019), p.55. ↩︎
  96. Note de bas de page d’Alexandra Laignel-Lavastine extraite du livre de Serge Moscovici, Mon après-guerre à Paris, Chroniques des années retrouvées, op. cit., p.47. ↩︎
Categories: Proustiana

5 Comments

jerome prieur · 20 décembre 2023 at 23 h 57 min

Formidable enquête au pays de « l’irréalité immédiate » comme disait Max Blecher (mort à temps, en 1938)

    Ruth Brahmy · 21 décembre 2023 at 11 h 49 min

    Quel art

Michel Décourt · 21 décembre 2023 at 10 h 46 min

Je suis impressionné par cette étude généreuse qui ouvre l’horizon de mes lectures. Merci à vous !

Ruth Brahmy · 21 décembre 2023 at 12 h 02 min

Quel article ! Quelle exceptionnelle synthèse autour de cette terrible « cartea negra » dont je connaissais l’existence ! Tu as construit ton histoire avec pour conducteur ce merveilleux Mihail Sebastian dont je t’en ai tant voulu de me l’avoir tué en 1945 alors qu’il avait échappé au pire !
Et notre Proust, au cœur de ce tissu de rencontres et de relations, dont l’amour qu’ils lui vouent rédime un peu certains affreux !
Merci de cet admirable travail, Nicolas !
Et en plus, tu me révèles, stupéfaite que je suis, la – complexe – judéité de Ionesco !!

Antoine · 25 décembre 2023 at 19 h 47 min

Superbe lecture de Noël. Télescopage de tant de noms, de notions… La proustomania comme passerelle vers l’humanisme en temps affreux. Merci !

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