Catherine Meurisse, de Charlie à l’Académie des Beaux-Arts
Catherine Meurisse est finaliste du grand prix du Festival de la bande dessinée d’Angoulême pour la cinquième année consécutive, qui lui consacrait également une grande exposition en 2020, Chemins de traverse. Son entrée à l’Académie des Beaux-Arts vient couronner le talent d’une artiste pour laquelle Proust est bien davantage qu’un simple écrivain.
Catherine Meurisse n’a pas encore obtenu le grand prix du Festival de la bande dessinée d’Angoulême et je doute que cela l’empêche de dormir. La prolifique dessinatrice à la longue silhouette, coiffée de sa coupe au carré bol d’éternelle adolescente échappée des années 70, a démontré, depuis plus de 15 ans, l’étendue de son clavier. Couvertures de livres, romans pour la jeunesse, bande dessinée, dessins de presse, crayon, plume, aquarelle, l’auteure de Mes Hommes de Lettres (Sarbacane, 2008) ne s’interdit rien et réussit à être à la fois caustique, légère, profonde, iconoclaste, savante et contemplative sans prendre de haut son lecteur. Grande lectrice des classiques (elle a suivi des études de lettres modernes avant l’école Estienne et les Arts Déco), Catherine n’a jamais vraiment choisi entre la culture académique et la culture populaire.
Marcel Proust, « auxiliaire de vie »
Si ses débuts sont surtout ceux d’une dessinatrice de presse qui fait tout plus vite que les autres (elle rentre à Charlie Hebdo à 25 ans), très à l’aise dans la farce acide et provoc, avec une présence discrète de la couleur, son travail change en profondeur après la tuerie du 7 janvier 2015, à laquelle elle échappe grâce aux « intermittences du cœur en panne d’oreiller » selon le mot de son ami Philippe Lançon dans la préface de La légèreté.
Après ce drame où, en quelque sorte, le syndrome de culpabilité du survivant la rattrape, les dessins de Catherine Meurisse ne seront plus jamais les mêmes.
Je suis tout aussi morte que mes amis, ou ils sont tout aussi vivants que moi.
Catherine Meurisse, La légèreté
La couleur fait irruption, des lavis hallucinés s’invitent, l’exigence de beauté et de paix intérieure est totale. La légèreté sera principalement un livre de reconstruction : des amies lui proposent d’aller à Balbec, voir la mer et marcher dans les traces de son écrivain préféré. « Pas mon écrivain, mon auxiliaire de vie », réplique-t-elle. Sans le savoir (?), elle vient de se rattacher, par cette expression fulgurante et magnifique, à une longue généalogie de lecteurs pour qui Proust est une force agissante, un rempart ontologique, un « organe vital » selon le beau mot de Jérôme Prieur : c’est Jacques Rivière ou Emmanuel Berl lisant Proust en prison pendant la Grande Guerre, Czapski et sa « lecture sans livre » ou Chalamov dans des camps soviétiques, Pavlov Zannas qui traduit la Recherche en grec dans les geôles des généraux, Philippe Lançon et la mort de la grand-mère du narrateur sur son lit d’hôpital…
Place à la peinture
Et pourtant, dans les semaines qui suivent l’attentat, même la lecture de Proust ne parvient pas à ramener un peu de sens et de sérénité dans son existence. La légèreté est le livre des choix, de ceux qui permettent de tracer un chemin de vie et de faire le départ entre l’essentiel et l’accessoire. De ce point de vue, Les grands espaces, et plus récemment Delacroix (Dargaud, 2019), une superbe mise en peinture du texte d’Alexandre Dumas — où pour la première fois le mot de « peinture » est utilisé pour qualifier les images du livre — achèvent la métamorphose de Catherine Meurisse.
Catherine enlève à la beauté tout le poids qui nous empêche si souvent d’en profiter.
Philippe Lançon, préface à La légèreté de Catherine Meurisse
0 Comments