Selon Bashô

Published by Paul Strocmer on

Bashô à cheval par Sugiyama Sampu (1647−1732)

Le Professeur Strocmer n’a pas voulu me révéler comment, dans les années soixante-dix et alors qu’il voyageait dans la préfecture de Kagawa, il a mis la main sur ce court recueil inédit de Bashô. Shinzo Abe, accusant la France d’appropriation culturelle, réclame ce trésor au président Macron depuis quelques semaines. 

Cher Nicolas

Il ne paraîtra peut-être pas inutile de donner quelques clefs de lecture à vos lecteurs, qui, bien qu’érudits et raffinés, peuvent ne pas être au fait des subtilités quasi proustiennes de la poésie japonaise du dix-septième siècle. On remarque d’abord que ce court recueil comporte quinze poèmes : mais le dernier est quasiment semblable au premier. On peut dire alors que d’une certaine manière, il n’y en a que quatorze, ou qu’il y en a à la fois quatorze et quinze. Or c’est exactement ce qui se passe au jardin de pierres du célèbre Ryôan-ji, le temple de Kyôto : quinze pierres sont disposées, mais on ne peut jamais en voir que quatorze au plus. On pourrait croire à un hasard si les haïkaï XII et XIII n’y faisaient clairement allusion, le poème XIII allant jusqu’à inscrire le nom même du temple (Ryôan-ji veut dire « temple où le dragon se repose ») dans son premier vers. Le poème XIV vaut comme signature : « Bashô » signifie en effet « bananier ». Ajoutons qu’on y observe également un cycle, comme si on assistait par fragments à la journée d’un homme plus ou moins enfermé dans Kyôto. Ainsi, ces haikaï illustrent parfaitement le style shôfu défendu inlassablement par le Maître et ses disciples, fort de ses quatre vertus : sabi, conscience des atteintes du temps (vertu que votre cher Marcel n’eût pas désavouée) ; shiori, force de l’allusion ; karumi, humour léger (comme le montrent le quatrième ou le huitième haiku) ; hosomi, beauté des choses simples. Tous ces éléments nous conduisent à authentifier sans hésiter cette petite suite comme une partie inédite du fameux recueil Haru no hi, Jours de printemps, paru en 1686.

Ma traduction s’est efforcée de strictement respecter la cadence de la métrique japonaise (5•5•7 ou 5•7•5), tout en modernisant certains aspects du Kyôto du XVIIe siècle. L’accent légèrement baudelairien de certaines tournures n’est pas une coïncidence : Bashô sait également se faire poète de la mélancolie contemplative.


I.
J’ouvre les volets
Encore un jour plein
Du délié des autres jours

雨戸開く
あの日の溶けに
満ちたる日

あまどあく
あのひのとけに
みちたるひ 

amado aku
ano hi no toke ni
michitaru hi

II.
Mon enfant, ma sœur
Songe à la longueur
De rester là vivre ensemble

 あが妹よ
共に住みたる
長き日々

あがいもよ
ともにすみたる
ながきひび

a ga imo yo
tomo ni sumitaru
nagaki hibi

III.
Toujours pas de pluie
Le soleil se joue de nous
Qui ne sortons pas

雨も無し
出ない人を日が
ばかにする

あめもなし
でないひとをひが
ばかにする

ame mo nashi
denai hito o hi ga
baka ni suru

IV.
Le joggeur content
Postillonne et sue
À l’horizon, un fusil

唾に汗
走者 満足に
平線に鉄砲

つばにあせ
そうしゃまんそくに
へいせいにてっぽう

tsuba ni ase
sôsha manzoku ni
heisei ni teppô

V.
Loin les uns des autres
Dans la queue des courses
Se réjouit le misanthrope

よく離れ
並んぶ人嫌い
うれしぞや

よくはなれ
ならぶひとぎらい
うれしぞや

yoku hanare
narabu hitogirai
ureshi zo ya 

VI.
L’érudit paresse
Confiné parmi les livres
À ne rien écrire

本の間に
込めた学者は
書けずにて

ほんのあいだに
とめたがくしゃは
かけずにて

hon no aida ni
kometa gakusha wa
kakezuni te

VII.
Au soleil couchant
Fini d’applaudir
Je referme les volets

夕日に手を
拍つこと辞めて
雨戸閉め

ゆうひにてを
うつことやめて
あまどしめ

 yûhi ni te wo
utsu koto yamete
amado shime

VIII.
De l’appartement
Rempli de silence
J’entends mon voisin ronfler

部屋静か
隣の人の
響き聞く

へやしずか
となりのひとの
ひびききく

heya shizuka
tonari no hito no
hibiki kiku

IX.
J’ouvre la fenêtre
Nourri par la nuit
L’air traverse la maison

窓を開く
夜から養う
風渡る

まどをあ
よからやしなう
かぜわたる

amado aku
yo kara yashinau
kaze wataru

X.
Juste le temps d’une
Cigarette à mon balcon
Rien de plus exquis

縁側に
一服だけして
おいしかな

えんがわに
いっぷくだけして
おいしかな

engawa ni
ippuku dake shite
oishi kana

XI.
Dans les rues la nuit
Le mendiant célèbre
Le vin de sa solitude

夜の道
寂しき酒を 
乞食が祝う

よるのみち
さびしいさけを
こじきがいわう

yoru no michi
sabishiki sake wo
kojiki ga iwau

XII.
Temples désertés
Vos jardins de pierre
N’ont personne à contempler

無人の寺
石庭が見る
人ぞ無き

むじんのてら
せきていがみる
ひとぞなき

mujin no tera
sekitei ga miru
hito zo naki

XIII.
Le dragon repose
Contraint et forcé
Dans son écrin d’arbres en fleur

閉じ込めて
咲いた気の箱
竜休みけり

ととじもめて
さいたきのはこ
りゅうやすみけり

tojikomete
saita ki no hako
ryû yasumikeri

XIV.
Triste bananier
Je le regarde pousser
Dans ma cour déserte

芭蕉悲し
寂しき庭に
伸びるのを見る

ばしょうかなし
さびしきにわに
のびるのをみる

bashô kanashi
sabishiki niwa ni
nobiru no wo miru

XV.
Délié par la nuit
De l’enchaînement des jours
J’ouvre les volets.

日の鎖
夜から解放され
雨戸開く

ひのくさり
よからかいほうされ
あまどあく

hi no kusari
yo kara kaihô sare
amado aku

Thème japonais : Catherine Garnier
Nous dédions cette suite de poèmes à tous les proustiens japonais.


1 Comment

Madame Sans-gêne · 26 avril 2020 at 10 h 01 min

Cher Monsieur Strocmer,
Comment ! Que Lis-je ?
Serais-je la première à lire votre pige ?
J’ai tellement dans mon métier l’habitude d’arriver après la bataille pour ramasser les pets cassés.
Éloge de la lenteur, tel est mon maître mot,
Je reviendrai vers vous une fois médité votre Bashô.
C’est que…vous mettez la barre Haut !

Bien à vous,
Madame Sans-Gêne

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