Entretien avec Alix Bénézech

Published by Nicolas Ragonneau on

Portrait d'Alix Bénézech
Alix Bénézech par Prescilia Follin.

Pour ce premier entretien de 2021, pas d’universitaire ou d’écrivain, mais un échange avec la comédienne Alix Bénézech, dont on a découvert la passion pour Proust grâce à Jérôme Bastianelli, qui lui a proposé de contribuer au hors-série anniversaire du Bulletin Marcel Proust. Mais Alix n’est pas venue les mains vides : elle a choisi deux passages parmi ses préférés dans Le côté de Guermantes, qu’elle a lus et enregistrés spécialement pour accompagner notre interview.

Sur votre site, vous précisez que vous êtes née dans une famille multiculturelle et littéraire. Est-ce qu’il y avait une grosse bibliothèque chez vous et qu’y trouvait-on ?
Oui ! Les murs du bureau de mon père étaient tapissés de livres, on appelait sa bibliothèque, “la grotte” ; il y avait comme un labyrinthe de livres, c’était impressionnant. Il y avait aussi des livres dans toutes les pièces de la maison. J’ai commencé à lire très jeune, avant même d’apprendre la lecture à l’école. L’instituteur s’inquiétait car il me voyait regarder par la fenêtre en rêvant alors que la classe lisait à haute voix, c’est juste que j’avais déjà lu la page et je m’ennuyais. Dans la bibliothèque de mon père on y trouvait presque toute la littérature, des auteurs classiques, les poètes latins et grecs, beaucoup de livres d’histoire, des livres rares, des ouvrages religieux, toutes les religions, des ouvrages scientifiques aussi, il avait une passion pour les auteurs sud-américains, mon père avait une grande curiosité et une soif de savoir, il me les a transmis. À Paris, j’ai une petite bibliothèque, on y trouve mes essentiels, Marcel Proust bien sûr, beaucoup d’auteurs du XIXe — je crois que c’est mon siècle préféré pour la littérature — Sénèque, des romans de Joyce Carol Oates, Michel Bussi, Fred Vargas, du Théâtre, Paul Claudel, Tchekhov, Racine, de la poésie, Leopold Sedar Senghor, Sherman Alexie, des œuvres de Stephen Hawkins, Einstein, des livres d’art dramatique, Lee Strasberg, Stella Adler…

Vous avez commencé le théâtre à 14 ans, en marge du collège et vous avez poursuivi vos études littéraires assez longtemps. En dehors de Marcel Proust, quels sont vos auteurs de prédilection ?
J’ai commencé le théâtre à l’âge de sept ans, de plus loin que je me souvienne, le théâtre a toujours fait partie de ma vie, j’aimais raconter des histoires, divertir ma famille et mes amis avec des spectacles que je mettais en scène et dans lesquels je jouais toutes sortes de personnages. Je crois que c’est pour cela que j’ai décidé de faire de ma passion un métier, pour raconter des histoires. Plus tard, après mes études littéraires en Hypokhâgne/khâgne, c’est sur la scène du Théâtre 14 dans le rôle de Christine Daaé, la jeune première du Fantôme de l’Opéra, que je suis devenue actrice. Sous le regard d’Henri Lazarini, aux côtés d’Emmanuel Dechartre et Benoit Solès. Ils m’ont fait naître à ce métier. Mes auteurs de prédilection sont Flaubert, Maupassant, Zola, Charlotte et Emily Brontë, Joyce Carol Oates, Hermann Hesse, Shakespeare, Sénèque…

Vous pouviez mener en parallèle cette carrière de comédienne et vos études ?
Je suis tombée amoureuse de l’Art de l’acteur, je n’ai jamais fait de séparation entre ma vie, mes études et ma passion qui est devenue mon métier quand j’ai commencé à en vivre. Avez-vous hésité entre plusieurs vocations ? Quand j’étais petite je me rêvais écrivaine, je voulais écrire des romans, j’ai commencé à écrire. Je réalise maintenant que ce que j’ai écrit, sont des pensées qui nourrissent la comédienne que je suis.

Avoir fait des études littéraires pour un comédien ou une comédienne, cela paraît une force, pourtant une partie du milieu du cinéma et de la télé, voire du théâtre, n’aime pas ce qu’elle considère comme des “intellos”. Aimer Proust et bien le connaître peut s’avérer à double tranchant, non ?
Je ne sais pas ce que cela veut dire “intello”. Même si j’ai souvent entendu ce mot dans un sens péjoratif. Lire c’est être curieux, se nourrir, s’inspirer. Tous les acteurs/actrices que j’admire sont de grands lecteurs. Je pense que l’acteur est au service d’une histoire, nous sommes des passeurs, nous transmettons.Je suis très curieuse et il y a dans le plaisir de la lecture quelque chose de très organique, dans la façon dont je lis, quelque chose de très sensoriel. Je ne sais pas si je connais bien Marcel Proust mais je le comprends et j’ai le sentiment qu’il me comprend aussi, c’est comme un ami imaginaire. J’ai lu son œuvre majeure, À La Recherche du Temps Perdu plusieurs fois, et je lis régulièrement des passages, c’est un peu une Bible pour moi. J’aime lire d’autres textes, surtout « Sur la Lecture », un texte que j’ai choisis pour mon mémoire de Lettres Modernes.

Votre expérience est extrêmement variée. Vous avez fait du théâtre, de la télévision, du cinéma, passant du répertoire d’auteur au répertoire populaire et vice-versa. Avez-vous une préférence ou, à la manière de Laurent Lafitte, votre partenaire dans De l’autre côté du périph, vous appréciez cette alternance ?
J’aime que vous parliez de Laurent Lafitte. De l’autre côté du périph était une de mes premières expériences cinématographiques, et il m’a donné de précieux conseils. Comme celui de ne jamais lâcher le théâtre. Il m’a aussi conforté dans mon intuition de ne pas hiérarchiser les genres, il n’y pas de place pour le jugement dans l’art de l’acteur. Ce n’est pas à nous de dire que tel répertoire vaut mieux qu’un autre. Ce serait très prétentieux, et c’est une façon de mépriser le public. Le plaisir est différent, peut être, mais tout aussi intense. C’est comme en musique, c’est magnifique de pouvoir interpréter différents répertoires, différentes partitions.

On arrive au moment “people” de cet entretien. Vous étiez la seule actrice française à jouer dans Mission Impossible – Fallout : que retenez-vous de cette expérience dans un blockbuster, et de votre expérience avec Tom Cruise ?
J’ai vécu cette expérience intensément, connectée au moment présent et c’était fabuleux. Je la revis aussi à travers les messages que je reçois des fans du monde entier, merci beaucoup à eux, c’est super touchant ! C’est une grande chance de travailler avec un star mondiale comme Tom Cruise, et aussi avec Christopher McQuarrie et toute l’équipe française et internationale. C’était une aventure collective. Nous avons tous été marqués par ce tournage, puis par le succès exceptionnel du film. Le film est d’ailleurs ressorti sur les écrans cet été.

Vous appartenez à une généalogie d’actrices lectrices de la Recherche, qui va de Simone Signoret à Jeanne Moreau, en passant par Fanny Ardant. Quelles sont les actrices du passé qui vous inspire ?
Permettez-moi de dire qu’elles appartiennent au présent ! Fanny Ardant bien sûr, Simone Signoret et Jeanne Moreau aussi, Le Cinéma est l’Art du Vivant ! Fanny Ardant éblouissante dans La Belle Époque réalisé par Nicolas Bedos. Je comprends mieux ce qui me touche chez elle, et aussi chez Simone Signoret, Jeanne Moreau, une sorte de douceur mélancolique, cette mélancolie, cette nostalgie qui traverse la Recherche.

Parlez-moi un peu de votre mémoire de maîtrise sur Proust. Quel en était le sujet ?
Ma thèse était de démontrer que le texte « Sur La Lecture » contient déjà tous les éléments de La recherche du temps perdu, ce petit texte est une petite Recherche. Je voulais faire publier mon mémoire, c’est une de mes résolutions de cette nouvelle année.

Je vous ai proposé de choisir et de lire des extraits du Côté de Guermantes. Pouvez-vous préciser pourquoi vous les avez choisis ?
Le premier extrait parce qu’il parle de Combray comme d’un paradis perdu, c’est beau ! Le deuxième passage est un de mes passages préférés de La Recherche, il est tellement mélancolique, cruel tout en étant drôle et touchant. A chaque fois que je le lis, je vois la scène, j’ai envie de la jouer.

En lisant à haute voix avec ces enregistrements, avez-vous appris quelque chose de la phrase proustienne que vous ne saviez déjà ?
J’aime découvrir à chaque moment de nouvelles sensations, c’est encore plus présent quand je lis à haute voix. La phrase proustienne résonne différemment, quand je lis aujourd’hui. Sans doute parce qu’à l’âge de 14 ans, je n’avais pas travaillé ma respiration comme je le fais grâce au métier d’acteur, mais aussi parce que la phrase proustienne est moderne, c’est un peu comme du cinéma écrit. Je pense que Marcel Proust aurait pu être un grand cinéaste. Il cherche à embrasser la réalité dans toute sa complexité, il nous plonge dans une expériencesensorielle qui est très proche de celle d’un film. Avec le plaisir de l’imagination en plus.

Le site officiel d’Alix Bénézech

Merci à Léonard Mule, Studio Le poisson barbu

Categories: Entretiens

1 Comment

Ricardo Bloch · 9 janvier 2021 at 13 h 35 min

Émouvant choix de textes et excellente lecture. Merci.

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