De Proust à Harcourt sous l’Occupation

Harcourt, les années noires et grises paraît le 15 octobre chez Denoël. Voici comment un article sur Proust et la Roumanie a suscité ce livre il y après de deux ans.

Lorsque je travaillais à mon article « Quelques proustiens en Roumanie fasciste » à la fin de l’année 2023, je cherchais à l’illustrer par la meilleure iconographie possible. Il était question dans ce texte de l’écrivain ami de Proust Gabriel de La Rochefoucauld, dont je retrouvai le portrait par le studio Harcourt dans un numéro d’Excelsior en 1939. Le scan de l’article, mais surtout les procédés d’impression de l’époque ne rendaient pas vraiment justice à la qualité de l’image. Je pensais raisonnablement pouvoir disposer d’un scan haute définition dans les archives du studio Harcourt, déposées dans les collections de la Médiathèque du Patrimoine et de la Photographie (qui abrite aussi les chères photos de Proust et de son monde par Paul Nadar) depuis 1989. En faisant ma demande au conservateur Matthieu Rivallin, j’appris alors que le fichier commercial du studio, inventoriant plusieurs centaines de milliers de noms de clients depuis sa création en 1934, était désormais disponible à l’état de tableur excel. Il fallait cependant justifier d’un projet scientifique ou éditorial pour pouvoir en disposer.
Cette information n’a pas cessé d’exciter ma curiosité et mon imagination, car j’ai compris qu’on disposait là d’un trésor quasi inexploité. C’est ainsi que je conçus l’idée de la série « Autour de Proust avec le studio Harcourt », puisque le studio a photographié des membres de la famille, des amis, des lecteurs plus ou moins célèbres, des relations plus ou moins éloignées de l’écrivain :  Robert Proust, Lionel Hauser, Jean Zay, Mary Marquet, Charles Maurras, Jacques Benoist-Méchin, Bernard Grasset, Denys Amiel, Colette, André Maurois, Robert Brasillach, Alexandre Vialatte, Jacques Mayol, Philippe Jullian, Roland Dorgelès, Lucien Rebatet, Jean Tardieu, Abel Bonnard, Mistinguett, Yvette Guilbert, Étiemble, Paul Valéry, Henri Mondor, François et Claude Mauriac, Jean Paulhan, Georges Perec, Jean-Louis Vaudoyer, Napoléon Murat, etc. Au passage, je retrouvais au fond des archives des images inédites ou peu vues, comme la série de portraits de René Blum.

Un livre d’histoire culturelle


En même temps que ce feuilleton pour Proustonomics, en voyant les très nombreuses images des caciques de Vichy et des collaborationnistes (Pierre Laval, Jacques Doriot, Xavier Vallat, etc.), des personnalités, des artistes, des écrivains (Sacha Guitry, Pierre Benoit, Maurice Sachs..;), des comédiens (Arletty, Edwige Feuillère, Danielle Darrieux, les bizuts Gérard Philipe et Charles Aznavour, etc.) de même que les portraits de simples soldats comme de sous-officiers ou d’officiers allemands, il me semblait qu’un livre d’histoire culturelle unique pouvait être écrit. C’est ainsi qu’au début de 2024, j’ai proposé à la grande historienne Bénédicte Vergez-Chaignon un ouvrage qui puisse raconter à la fois l’Occupation vue par l’objectif des photographes du studio mais aussi l’histoire du studio lui-même, celle d’une entreprise cernée par l’occupant au 49 avenue d’Iéna, mais qui comprend vite l’opportunité d’une nouvelle clientèle.
Les photographes du studio entre 1940 et 1944 demeuraient pour la plupart inconnus. En identifiant neuf de la dizaine de photographes à l’œuvre à la suite de nombreuses recherches complémentaires dans les archives de la Cinémathèque française, de la Cinémathèque de Toulouse, de la fondation Pathé-Seydoux, de la Comédie française et de bien d’autres encore, nous avons pu montrer que ces photographes, venus en majorité du cinéma, ont cristallisé le fameux style Harcourt.
Les historiens s’intéressent peu aux photographies en tant que source. D’ordinaire, on bâtit un texte et on l’illustre par des documents iconographiques pour fabriquer un livre. Nous avons travaillé à l’envers : nous sommes partis de ce qui se trouvait sous nos yeux dans les archives Harcourt (et aussi de ce qui ne s’y trouvait pas) pour tisser une narration dans laquelle on retrouve les grands événements de 40 à 44 comme les légendes noires ou roses de l’Occupation. Un livre d’histoire culturelle et de micro-histoires comme celui-ci ne peut être qu’un feu d’artifices, une sarabande de personnages et de destins croisés, complexes, étranges, pathétiques ou ubuesques comme seule la période peut en offrir. Jérôme Prieur a fourni le bouquet final avec une préface magnifique.

Venez retrouver Bénédicte Vergez-Chaignon, Jérôme Prieur et moi-même à la librairie  Michèle Ignazi le 15 octobre (15−17 rue de Jouy, 75004 Paris, 19 h) pour une présentation du livre.

Signatures et rencontres à venir

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire