Un fragment inédit de la Recherche

Published by Paul Strocmer on

Le Grand hôtel de Cabourg dans l’objectif de Frédéric Lipzyc.

On sait qu’entre La Prisonnière et Albertine disparue, Proust avait songé intercaler un livre de plus, qui ne vit pas le jour mais dont il nous reste quelques fragments : La Confinée. Le professeur Paul Strocmer, chercheur émérite et docteur honoris causa de l’université Madeleine Bloch, est heureux de pouvoir fournir au site Proustonomics, dont on connaît le sérieux philologique, un des brouillons auquel l’auteur de la Recherche a finalement renoncé. Qu’il en soit ici remercié.

La Confinée

« Durant ces jours interminables où j’avais espéré qu’Albertine — car la jalousie, tour à tour sorcière maléfique et bonne fée des contes, ne jetait pas seulement sur mes plaies le sel rongeur de l’inquiétude, mais parfois, bien qu’à des intervalles trop espacés pour me guérir vraiment, le baume apaisant de l’espérance — se rapprochât enfin de moi dans ce confinement dont la langueur forcée s’accordait en définitive assez bien avec ma constitution maladive, et bien peu avec la vitalité joyeusement perverse de la jeune fille, je la voyais au contraire, obligée qu’elle était, contrainte désormais comme jamais je n’aurais osé le lui ordonner, de partager chacun de ses instants, sinon avec moi, du moins avec la perception presque permanente de mon désir obstiné et vain, me devenir de plus en plus étrangère, indifférente, fugitive. Ainsi le confinement me devenait plus cruel que ses absences. Certes j’aurais dû — puisque dans ces jours paradoxalement heureux où il nous était interdit de sortir la torpeur tant désirée pendant les jours de travail devenait maintenant comme le gouffre dangereux où l’ennui pouvait nous aspirer — recréer, par le rythme finement réglé des tâches et des futiles mais désormais précieuses occupations quotidiennes, la douceur protectrice de l’habitude. Mais la présence d’Albertine, continuelle et pourtant vague, fuyante comme ces souffles d’air qui, le soir, dans la salle à manger du Grand Hôtel de Balbec, lorsque le temps permettait d’ouvrir en grand les baies vitrées donnant sur la plage, donnaient comme un bruissement de fantôme à la lourdeur solennelle des grands rideaux de soie rose, et faisaient craindre à ma grand-mère que je ne prisse à nouveau froid en ces lieux normalement voués à l’amélioration de ma santé fragile, m’empêchait de songer sérieusement au livre que je m’étais pourtant promis d’écrire, et dont les circonstances eussent pu favoriser l’éclosion. Tant la PS4 nous détourne de l’essentiel ! »


14 Comments

Richard LEJEUNE · 24 mars 2020 at 8 h 13 min

Monsieur Ragonneau s’entraînerait-il pour le concours de pastiches ??

    Guz · 24 mars 2020 at 8 h 27 min

    PS4 ?

    Bonjour,

    Pouvez vous s’il vous plaît me dire à quoi correspond « PS4 »
    « Paul Stocmer » ? 4 ? 

    Bonne Journée et surtout Bonne Continuation 

    L’enfermée

      Richard LEJEUNE · 24 mars 2020 at 8 h 46 min

      Si le Papy que je suis peut se permettre d’intervenir, Madame Guz, je vous répondrais que la PS4 fait partie de ces consoles de jeux très prisées par les petits-enfants … bienvenues en ces temps de confinement et de non scolarité. J’écris « petits-enfants » mais je sais que certains papas sont également fans … Quant au Papy, c’est, comme vous le savez, plutôt de Marcel Proust qu’il est « fan » !

Jean-Jacques Salomon · 24 mars 2020 at 9 h 37 min

Très réussi 🙂
Avec mon meilleur souvenir

    Nicolas Ragonneau · 24 mars 2020 at 9 h 45 min

    Venant d’un expert en la matière, ce commentaire vaut le double de points.

      Guz · 24 mars 2020 at 10 h 04 min

      Merciiiiiiiii Monsieur Lejeune 

      Hé hé hé pour PS4 ! Pourtant mes petits enfants jouent avec leur parents mais moi je suis totalement ignare sur ce sujet .…

Laure HILLERIN · 24 mars 2020 at 13 h 37 min

Bravo, cher Nicolas ! Vous êtes un grand maître ! Et un bel exemple de confinement créatif !
🎩👠

    Nicolas Ragonneau · 24 mars 2020 at 13 h 52 min

    Chère Laure, ce texte n’est pas de moi, mais d’un ami qui tient à garder l’anonymat.

Paul Strocmer · 24 mars 2020 at 14 h 40 min

Et bien sûr, le pseudonyme est aussi un jeu. Qui a trouvé ?

Richard LEJEUNE · 25 mars 2020 at 6 h 57 min

Anagramme de Marcel Proust, évidemment …

    Paul Strocmer · 25 mars 2020 at 9 h 53 min

    Vous avez gagné un exemplaire dédicacé de mon ouvrage : Les contrepets cachés dans La Recherche, aux éditions L’appel de Marcine. J’en ai recensé 4151 très exactement, le même nombre que les Adages d’Erasme, ce qui ne saurait être un hasard.

      Richard LEJEUNE · 28 mars 2020 at 7 h 00 min

      Ha ! Ha ! Remarquable. Merci …

      Guz · 28 mars 2020 at 13 h 31 min

      Pouvez vous nous les indiquer ??? si possible 

      Merci d’avance

Leprince · 28 mars 2020 at 11 h 46 min

Bravo !!!

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