Selon Baudelaire

Published by Paul Strocmer on

Charles Baudelaire par Gustave Courbet : détail du tableau L’atelier du peintre. Allégorie réelle. 1854 ou 1855. Musée Fabre, Montpellier

Parti sur les traces de Baudelaire et d’Aloysius Bertrand alors qu’il faisait, au début des années 60, son service militaire à la Base Aérienne 102 de Dijon-Longvic (Baudelaire avait vécu non loin, à Neuilly-les-Dijon, quand lui-même s’était lancé dans les traces de l’auteur de Gaspard de la Nuit), Paul Strocmer a fait cette découverte capitalissime chez un antiquaire : un poème inédit de Baudelaire, qui appartient sans doute possible à la section Spleen et Idéal des Fleurs du Mal. Malgré l’insistance de Claude Pichois, le professeur Strocmer avait refusé de le publier jusqu’à présent.
Je propose qu’on sorte tous les soirs à nos fenêtres à 21 heures pour applaudir le professeur Strocmer, qui met à la disposition du public tous ses précieux inédits.

Confinement

Je suis comme le roi d’une ville en sommeil
Dont le peuple enfermé murmure contre un lâche :
A ce mal ténébreux qui me tue à la tâche
Les docteurs fatigués puisent mon sang vermeil.

Paris se tait : le jour blêmit ; aucun réveil
En ce théâtre vide où la mort fait relâche 
Au milieu d’histrions sans salaire, et que fâche 
Le rêve creux de plaire à son triste pareil !
 
Seul un chat, prévenu contre mon humeur noire,
Dont le pelage obscur glisse comme une moire
Dans la nuit, fournirait un baume à mes douleurs :

L’Idéal, ce virus couronné par ma fièvre
S’éloigne au fond des boues charriées par une Bièvre
Qu’un pâle Souvenir emporte dans mes sueurs. 


10 Comments

Roux · 20 avril 2020 at 13 h 23 min

Magnifique
Mais je suis quand même un peu gêné par le nombre de pieds des derniers vers

Matthieu Wehrlé · 20 avril 2020 at 14 h 09 min

? J’ai beau recompter, je ne vois pas où est le problème.

Patrick HANNAIS · 24 avril 2020 at 9 h 31 min

La diérèse bien sûr !

    Nicolas Ragonneau · 24 avril 2020 at 9 h 33 min

    Mais bi-en sûr !

    Matthieu Wehrlé · 24 avril 2020 at 10 h 35 min

    La diérèse est facultative au XIX° si-ècle, et très vari-able chez Baudelaire.

      Nicolas Ragonneau · 24 avril 2020 at 10 h 42 min

      « Au collège, j’ai été traumatisé par la synérèse » François Fillon

Madame Sans-Gêne · 25 avril 2020 at 10 h 02 min

Cher Monsieur Strocmer,
Le plaisir de vous lire ne se tarit point ! Surtout à la manière de Baudelaire, tendre à mon sein.
Vos vers me rappellent ce que Ludivine, mon arrière grand-mère Proute!ologue me décrivait lorsqu’elle suivait La Comtesse (une bonne amie de Marcel): « Après la consultation, je restais cachée derrière le chambranle de sa porte. La Comtesse sautait sur ses deux pieds, pour rejoindre, vivace, sa mondanité. Sans diérèse ni synérèse, l’éloquente s’exclamait : « Monsieur Barrès ! Je suis morte ! Heureusement que je suis inutile ! » à quoi Monsieur Barrès répondait « Inutile très chère amie mais ô combien indispensable ! ».
C’est ce que m’inspire aujourd’hui votre billet, et fi des chemins pour y arriver !
Madame Sans-Gêne

Leprince · 9 mai 2020 at 15 h 07 min

Ayant lu, aujourd’hui 9 mai, le bilan de Proustonomics, j’ai la curiosité de relire certains commentaires et je découvre que celui que j’avais laissé au merveilleux pastiche de Baudelaire n’est pas « passé » – j’ai dû commettre une erreur d’envoi et la regrette. Je tiens donc à redire brièvement à quel point Paul Strocmer me semble un maître du genre : où doivent, me semble-t-il, se réunir à la fois imitation, décalage (d’où le rire) et création. De sorte que, pour m’en tenir à ce sonnet, le vers final de son deuxième quatrain, « Le rêve creux de plaire à son triste pareil ! » est digne de Baudelaire lui-même – selon moi… Tous les compliments du passionné que je suis d’un genre littéraire qui apprit tant à Proust sur lui-même.

Alexandre · 14 mai 2020 at 19 h 02 min

très bon le baudelaire ! Cette improbable aventure aura au moins eu le mérite de populariser le genre du pastiche et de stimuler l’imagination de leurs auteurs.

Pierrot · 19 février 2023 at 16 h 59 min

« L’Idéal, ce virus couronné par ma fièvre
S’éloigne au fond de boue emportée à la Bièvre
Qu’un pâle Souvenir charrie en mes sueurs. »
Voilà, le tour est joué ! Plus de « bouës charriéës par la Bièvre » qui obligeraient à compter 14 syllabes au vers 13, à cause de voyelles muettes entravées par le « s » du pluriel ! Plus de diérèse irrégulière au vers 14, grâce à à la substitution de « en » à « dans » ! Et l’inversion des verbes « emporter » et « charrier » permet d’élider le « e » de boue » ! Baudelaire mérite bien une métrique « impeccable », comme il l’aimait et la célébrait chez Théophile Gautier.
Il reste ce « virus » du vers 12, peut-être un tant soit peu anachronique : « poison », « venin » ?

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