Selon Baudelaire
Parti sur les traces de Baudelaire et d’Aloysius Bertrand alors qu’il faisait, au début des années 60, son service militaire à la Base Aérienne 102 de Dijon-Longvic (Baudelaire avait vécu non loin, à Neuilly-les-Dijon, quand lui-même s’était lancé dans les traces de l’auteur de Gaspard de la Nuit), Paul Strocmer a fait cette découverte capitalissime chez un antiquaire : un poème inédit de Baudelaire, qui appartient sans doute possible à la section Spleen et Idéal des Fleurs du Mal. Malgré l’insistance de Claude Pichois, le professeur Strocmer avait refusé de le publier jusqu’à présent.
Je propose qu’on sorte tous les soirs à nos fenêtres à 21 heures pour applaudir le professeur Strocmer, qui met à la disposition du public tous ses précieux inédits.
Confinement
Je suis comme le roi d’une ville en sommeil
Dont le peuple enfermé murmure contre un lâche :
A ce mal ténébreux qui me tue à la tâche
Les docteurs fatigués puisent mon sang vermeil.
Paris se tait : le jour blêmit ; aucun réveil
En ce théâtre vide où la mort fait relâche
Au milieu d’histrions sans salaire, et que fâche
Le rêve creux de plaire à son triste pareil !
Seul un chat, prévenu contre mon humeur noire,
Dont le pelage obscur glisse comme une moire
Dans la nuit, fournirait un baume à mes douleurs :
L’Idéal, ce virus couronné par ma fièvre
S’éloigne au fond des boues charriées par une Bièvre
Qu’un pâle Souvenir emporte dans mes sueurs.
10 Comments
Roux · 20 avril 2020 at 13 h 23 min
Magnifique
Mais je suis quand même un peu gêné par le nombre de pieds des derniers vers
Matthieu Wehrlé · 20 avril 2020 at 14 h 09 min
? J’ai beau recompter, je ne vois pas où est le problème.
Patrick HANNAIS · 24 avril 2020 at 9 h 31 min
La diérèse bien sûr !
Nicolas Ragonneau · 24 avril 2020 at 9 h 33 min
Mais bi-en sûr !
Matthieu Wehrlé · 24 avril 2020 at 10 h 35 min
La diérèse est facultative au XIX° si-ècle, et très vari-able chez Baudelaire.
Nicolas Ragonneau · 24 avril 2020 at 10 h 42 min
« Au collège, j’ai été traumatisé par la synérèse » François Fillon
Madame Sans-Gêne · 25 avril 2020 at 10 h 02 min
Cher Monsieur Strocmer,
Le plaisir de vous lire ne se tarit point ! Surtout à la manière de Baudelaire, tendre à mon sein.
Vos vers me rappellent ce que Ludivine, mon arrière grand-mère Proute!ologue me décrivait lorsqu’elle suivait La Comtesse (une bonne amie de Marcel): « Après la consultation, je restais cachée derrière le chambranle de sa porte. La Comtesse sautait sur ses deux pieds, pour rejoindre, vivace, sa mondanité. Sans diérèse ni synérèse, l’éloquente s’exclamait : « Monsieur Barrès ! Je suis morte ! Heureusement que je suis inutile ! » à quoi Monsieur Barrès répondait « Inutile très chère amie mais ô combien indispensable ! ».
C’est ce que m’inspire aujourd’hui votre billet, et fi des chemins pour y arriver !
Madame Sans-Gêne
Leprince · 9 mai 2020 at 15 h 07 min
Ayant lu, aujourd’hui 9 mai, le bilan de Proustonomics, j’ai la curiosité de relire certains commentaires et je découvre que celui que j’avais laissé au merveilleux pastiche de Baudelaire n’est pas « passé » – j’ai dû commettre une erreur d’envoi et la regrette. Je tiens donc à redire brièvement à quel point Paul Strocmer me semble un maître du genre : où doivent, me semble-t-il, se réunir à la fois imitation, décalage (d’où le rire) et création. De sorte que, pour m’en tenir à ce sonnet, le vers final de son deuxième quatrain, « Le rêve creux de plaire à son triste pareil ! » est digne de Baudelaire lui-même – selon moi… Tous les compliments du passionné que je suis d’un genre littéraire qui apprit tant à Proust sur lui-même.
Alexandre · 14 mai 2020 at 19 h 02 min
très bon le baudelaire ! Cette improbable aventure aura au moins eu le mérite de populariser le genre du pastiche et de stimuler l’imagination de leurs auteurs.
Pierrot · 19 février 2023 at 16 h 59 min
« L’Idéal, ce virus couronné par ma fièvre
S’éloigne au fond de boue emportée à la Bièvre
Qu’un pâle Souvenir charrie en mes sueurs. »
Voilà, le tour est joué ! Plus de « bouës charriéës par la Bièvre » qui obligeraient à compter 14 syllabes au vers 13, à cause de voyelles muettes entravées par le « s » du pluriel ! Plus de diérèse irrégulière au vers 14, grâce à à la substitution de « en » à « dans » ! Et l’inversion des verbes « emporter » et « charrier » permet d’élider le « e » de boue » ! Baudelaire mérite bien une métrique « impeccable », comme il l’aimait et la célébrait chez Théophile Gautier.
Il reste ce « virus » du vers 12, peut-être un tant soit peu anachronique : « poison », « venin » ?